Association de malfaiteurs
La macrophotographie est une discipline complexe, tant pour les contraintes techniques, que pour la connaissance des sujets capturés par l’objectif. Un solide bagage en sciences naturelles est fortement conseillé. Même si je me donne beaucoup de mal, ce n’est malheureusement pas mon cas. Pourtant, malgré les lacunes dues à mon ignorance, je m’obstine sans relâche. L’aventure commence avec la recherche obligatoire des noms scientifiques des espèces de plantes ou d’insectes que je photographie. Les premières observations se font sur le terrain. Mais dans le feu de l’action, il est compliqué de distinguer les subtilités qui conduisent à une identification indiscutable. A ce moment là, l’essentiel est de sortir une image correcte. Le processus de reconnaissance a lieu au calme, devant mon écran d’ordi. J’ai alors le confort nécessaire pour m’attarder sur le moindre détail me permettant de retrouver le nom latin, puis commun, des espèces. Ainsi, de fil d’araignée en aiguille de ronces, je me construit patiemment une petite culture naturaliste qui m’aide à comprendre un peu mieux les sujets de mes travaux. Les termes savants sont indispensables car les livres de botanique et d’entomologie sont organisés autour de familles présentant des caractéristiques communes. Il est important de se familiariser avec cette logique de classement afin de retrouver une appartenance, et le nom scientifique qui lui est attribué. Malgré tout, je reste attaché à la maladresse de mes premières investigations, et aux associations d’idées découlant de cet amateurisme de pacotille.
Les nuages qui glissent dans le ciel ne m’ont jamais inspiré des créatures imaginaires, un lapin, un ourson, un chien ou un cheval. Etant amateur de sports mécaniques, j’aurais tendance à y voir une course d’autos tamponneuses en fibres de coton. Pourtant, je n’en suis pas moins sensible aux associations d’idées qui sont indispensables pour apporter un début d’explication au monde qui se dévoile sous nos yeux. La coutume veut que la première impression est souvent la bonne. C’est un peu la même chose pour l’observation. La première fois que j’ai découvert un papillon adèle australe, j’avais l’impression d’être devant un sosie de “Ziggy Stardust”. Pour le coléoptère anthaxie magyar, je fus subjugué par le scintillement de sa robe écarlate sous la lumière artificielle. Elle ressemblait aux “feux stop” arrière d’une voiture. L’aigrette du pissenlit devient ainsi un “pompon duveteux”. Les premiers dossiers dans lesquels je classais mes photos portaient des noms assez loufoques. “Tank bleuté” pour le timarque obscure, ou “Jeff Koons” pour la forme sculpturale de l’oedemera nobilis. J’étais à des années lumières d’une organisation scientifique. Les dossiers ressemblaient à ceux d’une police du grand banditisme, dans lesquels les surnoms des mafieux et des voyous seraient plus révélateur que les registres de l’état civil.
L’oedemera nobilis, d’un sublime vert émeraude irisé, ressemble à une sculpture de Jeff Koons
Tant de créatures splendides, et pourtant méconnues. Pour palier à l’ignorance, un processus basic de compréhension s’organise autour d’un pivot central, l’observation. Observer, analyser, comprendre. Cette démarche nous aide à utiliser une illustration classique, comme une référence de base, pour décrire l’inconnue d’une équation. Une telle extrapolation est à double tranchant car elle superpose une vision erronée lorsqu’il faut retrouver les termes scientifiques. Pourtant, elle s’avère efficace dans mes recherches car les noms vulgaires répondent souvent à une démarche semblable, permettant de remonter les pistes du vocabulaire correct avec les moteurs de recherches d’internet. Comment expliquer que des ours, des serpents et même des pélicans portent des noms accompagnés de la précision “à lunettes”, et aucune taupe ? Ou l’allusion à un agrume jaune pour le papillon “citron de Provence”. Et si l’attribution des noms fonctionnait d’une manière aussi empirique que la mienne ? Comme l’avait dit Bourvil dans le Corniaud: “Je ne suis pas aussi Kun-Kun que j’en ai l’air !”
L’une de mes plus belles découvertes fut celle des sporanges et des sporophytes. Je n’avais même jamais entendu parlé de bryophytes. Et pourtant, j’étais à l’aube d’une révélation qui allait modifier à jamais ma manière d’appréhender la photographie. L’un des premiers texte du blog fut consacré à cette rencontre (lire Petite mousse ). Une seule image m’a propulsé dans un monde dont j’ignorais la véritable beauté. Je ne voyais pas la mousse des forêts autrement qu’un simple tapis végétal, utilisé dans mon enfance pour décorer une crèche de Noël. Et pourtant, le monde des bryophytes est passionnant. Ce dernier est complexe, déroutant, et fait naître un appétit insatiable pour en apprendre toujours plus. En période de reproduction des tiges verticales s’échappent de ces mousses telles des gratte-ciels, pour se terminer en flèches ou en lampions de verre de couleur jaune et verte. Il s’agit des sporophytes au sommet desquels se trouvent les sporanges, de petites capsules contenant les spores indispensables à la reproduction des espèces. L’association d’idée de départ peut paraître naïve bien-sûr, et elle l’est ! Mais sans cette démarche de comparaison, le processus d’apprentissage n’aurait pas eu lieu. Je ne dis pas que je suis devenu un spécialiste, bien au contraire. Mais le principal est d’entreprendre ce travail d’étude. Enrichir la compréhension de son environnement attise l’émerveillement.
Le sporophyte d’un bryophyte (mousse) s’élance vers les cieux en éclairant la prairie tel un lampion de lumière
Cette méthodologie est maladroite, incomplète, et frise le ridicule. A décharge, elle n’a aucune prétention scientifique. Elle m’aide à comprendre les espèces qui se dévoilent devant mon objectif, en m’adaptant à chacune d’elles. De nombreux doutes m’ont assailli au début de cette aventure naturaliste. Je craignais que les explications et les preuves puissent tuer la magie en la vulgarisant. Un comble ! Mais qui n’a jamais été déçu en découvrant les secrets d’un tour de magie, ou ceux d’un tournage de film ? Et si la quête de la vérité avait le pouvoir d’atténuer la beauté de la nature ? Reconnaître un lapin en lieu est place d’un nuage blanc frise la puérilité, voir la maladie mentale. D’un autre côté, vais-je mieux dormir en apprenant que le lapin n’est rien d’autre qu’un cumulonimbus avec son taux de gouttelettes d’eau en suspension ? Tout dépend si un esprit cartésien accepte ou non une part de poésie dans son processus d’analyse. La photographie est une discipline affective. Et pour justifier une émotion, le coeur a ses raisons que la raison ignore. Avoir soif de connaissances techniques n’empêche pas de porter un premier regard attendri par une association d’idée spontanée. Une hélice pour l’envole d’une graine de pissenlit. Un gâteau d’anniversaire pour une fleur “scabieuse des près”. Tigrou, le personnage de Walt Disney, pour un papillon “tabac d’Espagne”. Ou plus prosaïquement, “pétasse !” pour râler contre toute créature trop rapide pour être flashée. Hého, parce que "couillon” pour un gland de chêne c’est mieux ?
La photo d’illustration de ce texte n’échappe pas à l’inspiration de l’imaginaire. La journée est gravée dans ma mémoire tant elle fut magique. Une sublime atmosphère printanière, sans un seul nuage dans le ciel bleu, et aucune brise transformant mon viseur en tempête tropicale ingérable. Le travail commença le matin pour se terminer en début de soirée, une dizaine d’heures pour numériser une grande richesse de matière vivante. Sur le chemin retour, une mouche insignifiante se posa sur une tige. Il m’est impossible d’expliquer ce qui me toucha dans la banalité de cette scène. Et pourtant, il s’agit de l’une de mes photographies préférées. Je me suis empressé de l’immortaliser en travaillant à main levée, sans perdre de temps à sortir le trépied. Risqué ! Mais moins que de voir l’insecte s’envoler. J’ai choisi un taux de grossissement faible pour privilégier une vision globale, et harmonieuse. Un éclair me traversa l’esprit. Je ne voyais plus un diptère répondant au doux nom de sciaride, ou mouche du terreau, mais un personnage de roman. Un Robinson Crusoe de Daniel Defoe ayant trouvé refuge sur une île déserte: “Alors je jetai les yeux sur le navire échoué. Je considérai comment il avait été possible que j'eusse atteint le rivage.”
La robe tachetée du “tabac d’Espagne” prête au papillon de faux airs de Tigrou
La macrophotographie a bouleversé ma vision du monde, et des enjeux dont dépend notre survie. L’infiniment petit est aussi fascinant, que fragile. Avoir le droit de l’intégrer impose des responsabilités pour ne pas risquer de l’abîmer plus qu’il ne l’est déjà. Pour mériter un tel honneur, il est impératif d’enrichir sa culture naturaliste afin d’être conscient des limites à ne pas franchir. L’observation, l’analyse et la compréhension du vivant sont indispensables pour réaliser de belles images, peut-être même d’avantage que le matériel photographique car elles permettent d’anticiper les modes de vie des espèces, et leur cycle au cours des saisons. Comprendre, c’est savoir où placer une planque et un trépied. Il est possible de connaître à l’avance les situations dans lesquelles la patience sera poussée dans ses derniers retranchements. Autant s’y préparer en gardant à portée de main le thermos, les biscuits, et les fraises tagada. Très souvent, le spectacle est si féérique que je n’hésite pas à éteindre mon boîtier afin de profiter pleinement de l’observation. Ma photothèque s’appauvrit alors que mon émerveillement grandi. Les séquences touchées par une grâce divine mérite d’avantage d’être vécue, que de finir dans une banque d’images. Dans l’absolu, aucun diaporama ne pourrait décrire la magie d’un tel enchantement.
Faux air ou faussaire ? L’association d’idée décrit-elle le vivant, ou travestit-elle la vérité scientifique ? Parfois cartésien ou pragmatique, mon esprit est avant tout littéraire. Observer le monde vivant en superposant l’imagination dans une association d’idées improbable se résume à photographier la nature au travers d’une visée métaphorique. La première impression est souvent la bonne, en particulier pour une personne qui vit dans la lune depuis bientôt un demi-siècle. A l’inverse, il existe une discipline qui arpente un chemin semblable, mais dans le sens contraire. Elle pousse des ingénieurs à imiter la nature pour développer de nouvelles inventions, de nouveaux matériaux. Il s’agit du biomimétisme. Le terme est explicite ! La feuille de lotus est souvent citée en exemple pour ses propriétés hydrophobes pouvant être exploitées dans l’élaboration d’outils de notre quotidien. Les aigrettes des pissenlits sont également minutieusement étudiées pour leurs qualités aérodynamiques. Tout comme les capacités adhésives des millions de poils soyeux qui recouvrent les doigts du gecko, lui permettant de se mouvoir en défiant les lois de la gravité. Que faut-il retenir des associations d’idées, de la comparaison ou du biomimétisme ? Malfaiteur, ou bienfaiteur ? Il existe une poésie inhérente à la nature, encodée dans le génome de toute forme de vie. Une universalité qui inspire les hommes. Si mes photographies sont aujourd’hui classées dans des dossiers aux noms scientifiques, il n’empêche que dans l’imaginaire de mon vécu, les sporanges restent des lampions qui éclairent les villes de mousse. Ce ne sont pas les abeilles qui sont rayées, mais leur pyjama. Et la sciaride est un inoubliable Robinson Crusoe. La métaphore est à la nature, ce que le sémaphore est à notre monde: une lueur de bioluminescence dans la nuit.
« Imagination. Entrepôt d’idées, dont le poète et le menteur sont copropriétaires. »
Sciaride, ou mouche du terreau, est un petit diptère d’environ 4 mm