Post-it

 

Les nudistes vont-ils accepter le port du masque obligatoire malgré le retour des beaux jours ? Grâce à la rediffusion du “Gendarme à Saint-Tropez”, les questions existentielles se concentrent sur l’essentiel. Il devient compliquer de réfléchir en cette période de confinement moyenâgeux, et d’ambiance anxiogène dès que les mauvaises nouvelles nous font imaginer le pire pour les proches âgés et/ou fragiles. L’esprit est engourdi par un régime catatonique, totalitaire, et écrasé par la monotonie de l’enfumage médiatique. L’incertitude transforme la colère envers nos élites en haine latente et bestiale. Si l’état d’esprit influence le processus de création et de réflexion, autant fixer un regard personnel sur la surface sensible de ce blog. Et voir ce qui en sortira car au-delà du raisonnement, le plus intéressant est l’incertitude qui plane au-dessus du visage que prendra le voyage jusqu’à la conclusion de son terminus. Cette capacité n’est-elle pas aussi l’une des caractéristiques de la photographie ? Alors autant se lancer pour savoir si tous les chemins mènent à Rome.

Durant de nombreuses années, j’ai géré un site web organisé sur la base d’une photothèque présentant mes illustrations de la Méditerranée. Elle était spécialisée sur la Corse, et le littoral de la Côte d’Azur. J’aimais ce travail parce qu’il combinait mon intérêt pour la photographie, avec le lien affectif que j’entretiens avec cette mer natale à laquelle je suis profondément attaché. J’aurais même tendance à dire que je me sens méditerranéen avant même d’être français tant l’histoire et les coutumes rapprochent les peuples de ce bassin géographique. Aimer son travail ne veut pas dire qu’il soit épanouissant pour l’esprit. J’ai vécu un conflit moral car je ne voyais plus l’intérêt de photographier des paysages défigurés par le béton à outrance, en transformant une empreinte humaine destructrice en décor de carte postale. En rajoutant le tourisme de masse à l’équation, cela revenait à photographier Mickey à Disneyland. Le site actuel, Anémochoria, n’a pas cette vocation commerciale. Il me donne d’avantage de liberté d’expression, et d’espace de création. Ce blog en est la parfaite illustration. Je photographie sans avoir besoin de plaire, de la même manière que le style de rédaction privilégie un ton indépendant. Ainsi, je consacre du temps à gérer mes images en fonction de ce qui me touche, ou à écrire selon l’inspiration du moment, au détriment de la dévorante nécessité d’entretenir un bon référencement “google”, indispensable pour un site professionnel devant acquérir une bande passante rentable. Cette liberté de lecture s’applique aussi au visiteur de passage qui aura croisé le chemin de cette adresse improbable.


Une structure métallique rouillée défigure le littoral méditerranéen

Une structure métallique rouillée défigure le littoral méditerranéen


L’idée d’inclure un blog au site principale m’a séduit immédiatement. La transition qui me mena vers la macrophotographie et Anémochoria dura pratiquement deux ans. Je ne dirais pas deux longues années tant la gestation fut nécessaire et prolifique. Le processus est comparable à celui de la chrysalide du papillon, non pour sa magie et sa poésie, mais pour le processus de transformation radical. D’une chenille, je suis passé à l’état de papillon butinant le nectar des fleurs, photos après photos. Sans me soucier du ton conventionnel de mes phrases ou de mes idées, le blog me permet de donner la parole à la matière photographiée. J’entrevois différemment le slogan de Paris-Match, “le poids des mots, le choc des photos”. Bien que l’un n’aille pas sans l’autre, les certitudes et les états d’âme de celui qui se cache derrière l’objectif sont indispensables à la compréhension de l’ensemble. Un blog, indépendamment de la qualité de son contenu, a le mérite d’exister et d’apporter une seconde lecture sur la genèse d’un travail de création. Le rapport entre l’auteur et le visiteur gagne en réalisme, et devient moins abstrait, ou impersonnel que sur le reste de la toile mondiale. Ce réseau numérique infinie illustre le paradoxe kafkaïen d’une vaste étendue d’informations fertiles qui ressemble au final d’avantage à un désert de sable dans lequel apparait de-ci de-là la sincérité de quelques mirages de vérité.

Le blog agit comme une passerelle invisible et inattendue entre les disciplines qui me fascinent, telle la géologie. Texte après texte, le blog s’organise en strates se superposant en dépôts sédimentaires. La géologie est un livre ouvert sur l’histoire de notre planète, décrivant la colère des volcans, les flux migratoires des plaques tectoniques, ou les bouleversements météorologiques. La réflexion m’arrache les idées comme le fait l’érosion en déstructurant lentement une roche en amont, pour en recréer une autre en aval, en déposant des syllabes détritiques. Ainsi se structure une pensée littéraire brute par l’accumulation de grains d’idée en tout genre. Des phrases s’entassant les unes sur les autres pour former des textes sédimentaires. Puis, au hasard des corrections, les modifications incessantes exercent un remodelage de chaque paragraphe. Une pression de relecture qui impose un métamorphisme, et débouche sur la restructuration de la logique du raisonnement. Mais la plupart du temps, ma tête se transforme en volcan bouillonnant qui finit par exploser sous un panache de nom d’oiseau. Le nuage pyroclastique qui en découle arrache les arbres de ma chevelure en dévalant les pentes de mon visage. Il est alors temps de faire une pause pour lâcher la pression de ces crises éruptives.


Une vue inversée des palmiers d’une palmeraie

Une vue inversée des palmiers d’une palmeraie


Le blog est un pense-bête, un tableau sur lequel j’épingle les réflexions qui me tiennent à coeur. Il m’aide à soulager l’esprit. En observant le monde vivant par exemple, je suis frustré de ne pas voir les animaux et les insectes se rapprocher plus près. Je déteste l’idée d’être considéré comme un prédateur potentiel. Je suis un chasseur, mais d’images, dont la gâchette s’est muée en déclencheur électronique, parfois même en télécommande lorsque la discrétion absolue est de rigueur. Pourquoi de nombreuses espèces nous fuient-elles, alors qu’elles cohabitent entre elles ? Pourquoi craindre ma présence uniquement parce que je suis un homme ? La réponse se trouve dans la mémoire collective des animaux. Sans écrit, souvent sans même jamais avoir vu un bipède, la méfiance est profondément ancré dans l’instinct de survie animal. Nos codes de vie sont-ils si différents, nous dont le complexe de supériorité nous pousse à ne plus nous considérer comme de simples mammifères parmi tant d’autres. A part au travers des livres ou des récits de mes grand-parents, je n’ai pas vécu de guerre mondiale, ce qui ne m’empêche pas d’être pleinement conscient des horreurs. Sur la même logique, nul besoin d’avoir vécu l’accident de Tchernobyl pour savoir que le discours des politiciens ne méritent aucune confiance, aucune crédibilité dans la gestion d’une crise sanitaire grave car la dispersion des mensonges est aussi nocive que celle des particules radioactives. Dans notre héritage collectif, nul doute que “le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à la frontière” sera mis à jour pour devenir “les masques chirurgicaux sont inutiles contre un virus”. Il ne faut pas s’étonner si la population française est considérée comme un mauvais élève, refusant les campagnes de vaccination de masse. Là aussi, la solution se cache dans notre mémoire collective, et dans laquelle se succèdent les scandales sanitaires dont les procès accouchent toujours d’une souri. Une souris verte de préférence, celle qui se transforme en escargot tout chaud en la trempant dans l’huile sous les conseils avisés de ces messieurs.

Ce blog n’a aucune vocation philosophique. Aucune recherche de vérité suprême. Il ne se revendique d’aucune pensée, d’aucun courant, à part celui qui alimente mon ordinateur. Il n’est pas non plus un énième site de description technique de la photographie. Son seul est unique intérêt est d’exister sous la forme d’un “post-it” fluo collé sur le frigo. Il est la contribution d’une pierre de taille dans la réalisation d’un édifice commun. Il fait partie d’une oeuvre collective, d’un patchwork de témoignages contemporains, décrivant la terre avec son langage, et illustrant le monde au rythme de ses inspirations. Il représente une fine couche dans un carottage de sédimentation générale, strate n’ayant aucun intérêt isolée de son contexte géologique. Je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle il ne faut pas vivre dans le passé pour pouvoir continuer à avancer. Comment comprendre les rivages de la Méditerranée sans se laisser absorber par l’œuvre remarquable du photographe niçois Jean Giletta fin XIXème-début XXème ? Comment prendre la pleine mesure de l’horreur de la guerre sans être bouleversé par la lecture des lettres personnelles des “poilus” de la Grande-Guerre ? Le passé fait partie intégrante du présent, et il constitue un abécédaire précieux pour lire entre les lignes de l’avenir. Ce blog constitue un album de témoignages, saisissant sur le vif une actualité immédiate, au même titre qu’un simple cliché photo. Sous-estimer le passé revient à négliger l’influence de la mémoire collective sur les décisions du quotidien. De la même manière que les animaux fuient instinctivement la présence de l’homme, nul doute que notre actualité récente sera gravée dans le code génétique des générations futures. Ainsi se propage un darwinisme social, organisé autour des instincts primaires hérités des expériences d’autrefois. Une sélection naturelle dans laquelle les stimuli d’alerte du passé ressurgissent pour réagir aux rapports de force imposés par l’élite gouvernante.


« La mémoire est la sentinelle de l’esprit »
— William Shakespeare

Couche de sédimentation de calcaire argileux et de marne sur la Côte d’Azur

Couche de sédimentation de calcaire argileux et de marne sur la Côte d’Azur