Dans la tente d'écrire

 

Certaines rencontres stimulent la création. D’autres au contraire éteignent le moindre atome d’inspiration tels des trous noirs tapis dans l’ombre. L’appel du 18 juin est le symbole des mots du général de Gaulle exhortant le sentiment patriotique à résister à l’envahisseur. Celui du 4 juin aura été le dernier avant les maux à l’origine de mon absence. Deux manières de prendre le maquis devant l’oppression, l’une éloquente, l’autre silencieuse.

Il est compliqué d’extraire un enseignement positif d’une expérience nocive. Il existe des traversées du desert qui ressemblent d’avantage à une terre brûlée qu’à l’image d’une étendue de sable. Point d’ondulation de dune pour adoucir l’horizon. Juste un sol abrasif et usant à perte de vue. Une atmosphère délétère et perverse qui gangrène la moindre faiblesse. Un gaspillage qui nourrit par le vide un haut-le-coeur quotidien. Une stérilité sournoise qui déshumanise à petit feu.

Nul besoin d’espace infini pour être happé par un trou noir. Comme les “reptiliens” pour les adeptes de la théorie du complot, ces derniers sont déjà sur Terre parmi nous. Ils se nourrissent tels les vampires d’une écoeurante culture de l’ordurier, en absorbant “la substantifique moelle” qu’ils transforment en profonde affliction. Inhibant toute forme de passion, et ne laissant derrière eux que ce goût à rien qui plonge l’esprit dans une profonde agueusie du doute. Puis surgit l’espoir de la quille. Ce contre-poids libérateur qui redonne de l’équilibre à un voilier en perte de vitesse, azimuté par le désordre infligé aux instruments de navigation par la traversée de ce triangle insulaire.

La thérapie prend une forme inattendue et improbable, celle d’une toile de bivouac. L’allégorie de la caverne se transforme en celle de la tente. La principale différence entre une grotte de pierre et une tente synthétique est la possibilité de dessiner sur les murs en s’éclairant à la torche sans mettre le feu aux parois. Autant dire que les artistes de Lascaux ont vite fait l’impasse sur le rayon “randonnée” du magasin spécialisé le plus proche. Etre pragmatique consiste à savoir choisir le moindre mal. Et dans le doute, la notice d’emploi du modèle “deux secondes pour déplier” (et plusieurs minutes pour comprendre comment replier) déconseille les peintures rupestres pour des raisons de sécurité, même éclairées à la lueur d’une innocente bougie. Pour éviter les mouvements de panique, il vaut mieux prendre sagement le maquis avec un appareil photo en guise de pinceau, et repeindre le monde avec une palette aux pigments binaires.

Ce petit abri préformé se retrouve ainsi posé sur un délicat tapis d’humus de feuilles d’arbres. Le “camps de base numéro 2”, au sud-est des trois hectares de terrain familial sur lequel j’ai grandi. Un décor amical indispensable pour soigner ce mal d’inspiration dont souffrait mon boîtier. Une infime portion de notre planète sur laquelle je me sens chez moi, silence et calme en exceptions luxueuses d’une société cultivant un “trash” assourdissant. Ces instants privilégiés sont parfois rompus par un gland de chêne qui tombe au sol, anémochorie gravitationnelle. Mais cet impact est moins lourd qu’une chaîne de glands dont la couleur verte sera d’avantage le symbole d’immaturité, contagion régressive.

Pendant que certaines forêts primaires disparaissent, d’autres prolifèrent. Le miracle de la photosynthèse des premières absorbe le dioxyde de carbone pour relâcher de l’oxygène dans l’atmosphère. La vulgaire bêtise des secondes réduit notre espace vital, et nous empêche de respirer en provoquant une intolérable asphyxie de l’esprit.


« Le doute, terrible trou noir de l’esprit, là où l’univers perd confiance en lui-même. »
— Louis Gauthier

Un appareil photo posé à l’intérieur d’une tante de camping

Un appareil photo posé à l’intérieur d’une tante de camping