Voyageurs éphémères
Il est dommage d’avoir nommé “Terre” notre planète alors que sa surface est recouverte à 71% par les mers. “Océane” aurait été plus proche de la réalité tant sa robe bleutée est sublime à observer sur une photo prise de l’espace. Même les industriels de l’alimentaire ont pensé à ce nom pour l’une de leur grillade de poisson surgelée. Elle concentre une telle richesse de talents merveilleux. Elle est l’hôte attentionné propice au développement d’une multitude de formes de vie variées. D’une beauté incomparable, elle attise naturellement les passions, en se jouant des mots. Si les vers colorés de Paul Eluard l’ont décrite “bleue comme une orange”, les maux qui déchirent “globulistes” et “platistes” transforment la pomme de Newton en drame avarié. Les premiers défendent l’idée d’une planète sphérique, alors que les seconds sont convaincus qu’elle est plate. Devant l’inquisition de ce glissement de terrain historique, même mon correcteur a sursauté et réécrit “plagiste” en lieu et place de “platiste” tant ce débat paraît loufoque au XXIème siècle. Parfois, même si le ciel s’obscurcit, il vaut mieux prendre de la hauteur pour se laisser glisser avec légèreté dans les courants aériens qui naissent au contact de leurs homologues océaniques.
Que serait notre planète sans la douceur ouatée de la couverture nuageuse qui l’entoure ? Sans elle, mes professeurs n’auraient su quoi écrire sur mes bulletins de notes tant mon regard était d’avantage attiré par la lumière de la fenêtre que par la noirceur du tableau. Quoi de plus naturel pour une génération qui regardait “le Village dans les Nuages” à la télé, une suite à ”l’Ile des Enfants” dont la mascotte était le légendaire Casimir. Nous n’avons pas lancé de pavé sur la police (du moins, pas encore…) comme les soixante-huitards, mais nous avons été nourris au “gloubi-boulga” d’un vélociraptor orange ! Pourtant, il s’agit bien de notre génération qui banalise tristement l’incivilité, et trop souvent le manque de respect envers les enseignants de leur progéniture. Tout ça pour ça au final. J’attends de voir avec moins d’impatience ce dont sera capable la classe suivante, celle des “télétubbies”. La bande annonce promet d’être flippante.
D’un autre côté, nul besoin d’autorisation pour avoir la tête dans les nuages. Il suffit juste de se laisser guider par la magie de ces voyageurs éphémères. Avec un soupçon d’observation, un peu comme celle que m’a enseigné le jeu des “7 erreurs” que je faisais avec mon grand-père sur le Corse-Matin. Puis, une pincée de patience. Se dévoile alors une écriture millénaire propre aux nuages. Elle se dessine lentement sur un fond de ciel bleu, nous racontant l’histoire et les coutumes de ce peuple migrateur. Que l’on soit météorologue, rêveur, ou nostalgique, l’interprétation est aussi libre et légère que le vol de ces insaisissables hiéroglyphes du ciel. Certains y verront cumulus, cirrus ou stratus. D’autres des animaux, de gourmandes îles-flottante, ou bien l’opportunité de saluer un être perdu. Quel autre élément symbolise la douceur avec une telle poésie ?
Pas sûr que les Gaulois auraient partagé ce point de vu. Ils se seraient écriés: “Mais il est fou ce romain !”, craignant que ma douce rêverie ne leur tombe un jour sur la tête. Et pourtant il m’arrive de me quereller avec ces géants divins, en particulier lorsqu’ils recouvrent l’astre solaire de leur démarche nonchalante, m’obligeant à patienter afin de pouvoir retrouver la lumière indispensable au travail photo. Par manque de place et d’encre sur ce blog, j’éviterai de recopier les jurons qui sortent de ma bouche. Je dois confesser moins de poésie dans mon existence à ce moment là. Il faut reconnaître que les conditions furent compliquées ces derniers mois. L’instabilité du climat, la violence des éléments, l’imprévisibilité des épisodes pluvieux, et le retour du froid agressant une végétation rendue vulnérable par un nouveau cycle de renaissance printanier, auront été des épisodes déstabilisants. Mais avant de sombrer dans la rancoeur d’altitude, ne faut-il pas y voir une nouvelle preuve de l’influence destructrice de l’humanité sur cette planète avec un dérèglement climatique dont le réchauffement ne semble être finalement qu’un symptôme parmi d’autres.
Au-delà des symboles de mauvaise augure, un ciel qui s’obscurcit ne me laisse jamais insensible. Je vois les paroles du “Fumeur de Havane” de Serge Gainsbourg: “Dieu est un fumeur de havanes, c'est lui-même qui m'a dit que la fumée envoie au paradis”. Prendre le temps de contempler ces “volutes bleues” en levant la tête est un luxe rare. Apprendre à les comprendre est l’une des conditions suprêmes pour se rapprocher d’une symbiose parfaite avec la nature. Mais comment font ces hommes et femmes qui vivent dans des villes dont les immeubles culminent à plus d’une centaine de mètres ? L’absurdité de la peur de voir le ciel nous tomber sur la tête n’a d’égale que celle de penser qu’il est possible de le gratter par des amas de béton structuré. A cette chimère architecturale, je préfère m’allonger dans l’herbe pour contempler de face cette scène admirable sur laquelle la nature nous offre gracieusement un spectacle grandiose. L’imagination éclipse alors la réalité dans un silence assourdissant. Elle réduit l’enclume d’un puissant cumulonimbus au blanc chapeau d’un champignon. Elle transforme la course d’un groupe de stratocumulus en celle d’un troupeau de lapins blancs plus ou moins crétins. Elle donne vie à un pizzaïolo anonyme faisant tourner adroitement sa patte du bout des doigts, en lieu et place d’un lenticulaire posé au sommet d’un piton rocheux.
La légèreté de ces coussins de coton est une invitation à la poésie. Parfois simple ode à la gourmandise tant les formes et les textures rappellent celle d’un nuage de chantilly survolant délicatement la surface obscure d’un café arabica. Tout comme la vie apparaissant sur Terre, les nuages naissent avec l’ADN des océans et des mers du globe. Formés de fines gouttes d’eau, ils transportent le code secret des origines du monde vivant, et la survie des espèces. Malgré la violence de leur colère, il est impossible de leur tenir la moindre rigueur pour le climat qu’ils nous imposent car il est coutume de ne pas tirer sur le messager. En particulier lorsque la simplicité de leur beauté trouve un écho stratosphérique dans la force tranquille qu’inspire cette anémochorie climatique.
« Nuages, les descentes de lit de la lune. »
La course des nuages, véritables voyageurs éphémères du ciel