Coiffeur paysagiste - Part I

 

Une débroussailleuse équipée d’une lame de broyage à la place d’un boitier photo posé sur trépied. Qui aurait pu croire à ce changement il y a quelques mois. Une opposition de style bien marquée. L’une hache sans ménagement, faisant parler la brutalité de la puissance. Alors que l’autre laisse s’exprimer les détails invisibles, privilégiant une douce observation. Le sentiment général est partagé. Pour sauvegarder la beauté d’un site, il faut parfois avoir recours à des solutions extrêmes de destruction. Malgré cet alibi, les critères esthétiques n’entrent pas en compte pour maintenir un écosystème sauvage et riche.

Ce mois de novembre aura été marqué par le début des travaux d’entretien du terrain familial. 3 hectares composés d’un vaste champs, et d’une forêt de chênes à feuilles de houx. La saison estivale se prolonge et déborde chaque année sur l’automne, jusqu’à des records de 33 °C pour la fin octobre. La vie est encore bien trop foisonnante pour commencer plus tôt sans que le travail ne se transforme en massacre à la débroussailleuse. Comme le climat méditerranéen se tropicalise, une mousson interminable a suivi les fortes chaleurs, s’installant durablement depuis un mois. Le travail est pénible car la terre est gorgé d’eau, transformant le moindre carré d’herbe en tourbière lourde et collante. Mais elle aura permis d’ouvrir un créneau en laissant descendre un abondant rideau de fin sur une scène quasi printanière.

Un casque de playmobil orange s’est imposé près de ceux utilisés pour le vélo, complétant ainsi une collection improbable d’une touche fluo. Des chaussures et des lunettes de sécurité, des gants, des protèges tibia, la parfaite panoplie pour Halloween. Bien que d’apparence ridicule au départ, la pratique s’est imposée naturellement, comme si j’étais fait pour une activité de motoculture. De la volonté, de l’huile de coude, un apprentissage scrupuleux des règles de sécurité. Une expérience qui se construit progressivement, m’aidant à choisir mes lames en fonction de la nature de la végétation, ou de l’effet recherché. La lame de broyage s’est imposée d’elle même pour dégrossir, suivie d’un couteau plat pour les hautes herbes, et d’une tête à fil en plastique pour la finition.

Il faut reconnaître que le terrain avait besoin d’une remise à zéro, comme un “reset” informatique. Des années de négligence malgré la présence des chevaux des uns et des autres auxquels nous avons confié les clefs de la propriété, ont recouvert de ronces la quasi totalité de la surface du champs. Les sublimes pommiers plantés au hasard des temps anciens se sont transformés en boule d’épineux. Une véritable galère ! La pratique du vélo m’a apporté l’outil le plus précieux face à cet obstacle naturel, la force de caractère pour avancer sans se retourner, sans succomber aux appels de l’abandon. Interdit de renoncer face aux ronciers car ces herbes sont des guerrières. Leurs armes sont pointues, redoutables, et sans pitié pour les volontés les plus vacillantes. Certaines ont développé des tiges aussi épaisses que des troncs de plusieurs centimètres. Un tramage au sol qui n’a pas la subtilité d’un labyrinthe, mais qui impose un combat rapproché. Une reconquête laborieuse de chaque mètre perdu au fil des années au profit de ces hydres de Lerne aux tentacules affûtées.

Ce parcours du combattant contribue à enrichir ma période d’apprentissage. Etre jeté directement dans le grand bain stimule la recherche de solutions sur mesure. Les erreurs impliquent des conclusions personnalisées. Le travail s’enrichit ainsi d’une faculté d’adaptation accrue. Quand il faut guider la machine de haut en bas pour écraser les ronciers, l’utilité d’un bon équilibrage du balancier s’impose de lui-même, en particulier lorsque la pente du terrain durcit les règles du jeu. Nul besoin d’explication complémentaire, ou d’exemple concret. Puis, lorsqu’une belle avancée est acquise, il est temps de revenir sur ses pas en reprenant un geste plus naturel avec une débroussailleuse, de gauche à droite pour broyer les feuilles et autres tiges au sol, et couper au plus court les racines rescapées. Cette technique assainit la surface parcourue. Elle favorise la récupération physique, tout en permettant au moteur de souffler à son tour en baissant de régime. Un véritable travail d’équipe huilé en deux temps.

Commencer dans le dur permet de relativiser la nature de toute autre tâche. Il devient aisé de traverser une zone de calme plat, comme celle des hautes herbes dont la caresse accompagne chaque pas, en lieu et place de la résistance abrasive des ronces. Mais au lendemain d’une nuit de pluie diluvienne, la caresse se mue en un doux suçon d’une lente avancée. La terre gorgée d’eau se transforme en tourbe, telle une traversée napoléonienne de la Bérézina. Chaque pas devient laborieux, comme si la gravité était plus pesante, et que les brins d’herbe amicaux avaient muté en une armée de “morts-vivants” tendant les bras pour retenir toute tentative de fuite. Un scénario de film de John Carpenter qui ne parvient cependant pas à atténuer l’enthousiasme car le travail et les efforts payent. La coupe s’éclaircit radicalement, laissant entrevoir le potentiel de beauté futur. Pourtant, impossible de ne pas s’interroger sur les conséquences de ce travail de sculpture sur l’équilibre de l’écosystème final.


« Ronces et lacets ne font guère bon ménage. »
— Mes chaussures de sécurité

Une débroussailleuse thermique équipée d’une lame de broyage pour les ronces

Une débroussailleuse thermique équipée d’une lame de broyage pour les ronces