Surface sensible
Si je devais donner une définition de la photographie, j’opposerais une dualité telle que je la perçois au quotidien. Deux visages complémentaires, l’un matériel, et l’autre immatériel.
La première spécificité est la mémoire. Il s’agit de l’image elle-même, un témoignage concret et immédiat qui imprime une surface sensible, numérique ou argentique. Une bouteille à la mer qui voyage dans le temps et l’espace. Elle façonne l’histoire, et l’actualité de notre quotidien. Son champs de publication s’est élargi avec le développement de la sphère d’internet. Elle devient accessible de n’importe quel point connecté de la planète. Bien que le travail d’un photographe soit protégé par les lois du copyright, son interprétation devient publique, et n’échappera pas aux critiques dithyrambiques ou assassines. Sa lecture évolue aussi en fonction des régions ou des pays. Elle s’appuie sur les identités nationales ou les coutumes locales. A moins qu’une légende ne vienne apporter une explication, objective ou pas. Comme le résume le slogan de Paris-Match: “Le poids des mots, le choc des photos !”
La seconde particularité est le souvenir. En particulier celui du photographe au moment du déclenchement. Le “making of” de la photographie. Peu importe l’époque, la technologie du matériel, ou la nature de diffusion de l’information, ce dernier appartient exclusivement au vécu de l’auteur. De la même manière que les métadonnées tatouent chaque fichier de prise de vue, le souvenir grave dans le marbre le contexte accompagnant la création d’une image. Une ambiance particulière. Une météo inattendue. Une tablette de chocolat dans le sac. Mon esprit est irrémédiablement nostalgique car je suis sensible à cette intimité. Et gourmand pour ne jamais refuser un ou deux petits carrés au lait. Bon allez, trois ! En visionnant mon travail, je revis immanquablement sa genèse, ces petits bouts de rien qui font la richesse d’un grand tout. Chaque obturation divise une scène entre ce que je suis prêt à partager, et ce que je garderai jalousement pour moi. Une incontournable dualité.
La photographie disperse des fragments de vie aux quatre-vents, et sème les graines qui enrichissent notre mémoire collective à travers les âges. J’avoue apprécier l’idée d’être une plante, “verte” si je me rappelle les critiques agacées de ma prof d’anglais. Je contribue ainsi à cette anémochorie culturelle.
« Mon propre souvenir est capturé au moment même où je prends la photo. C’est finalement l’appareil photo qui me sert de mémoire. »
Deux papillons tabac d’Espagne se posent pour butiner le nectar d’une fleur scabieuse des prés