Piste de bobsleigh
Un double exercice que je ne maîtrise pas. Parler de “moa”, et pratiquer l’auto-portrait. Mais si je travaille sur un site web pour présenter mon travail photographique, autant me dévoiler un peu comme je le fais déjà pour entretenir les roues de mon vélo, et lui permettre ainsi de filer plus droit. A l’image de la route de haute montagne verglacée visible sur la photo d’illustration, le sujet est glissant telle une piste de bobsleigh. J’aurai le prétexte du froid pour ne pas me mettre totalement à nu. En sachant qu’avec cette pointe d’autodérision que j’affectionne tant, je suis toujours habillé pour l’hiver.
La première réflexion qui me vient à l’esprit en regardant cette photo est que le collant ne va pas à tous les hommes. Oui j’en porte un, très souvent, en particulier en conditions hivernales. Certes, le froid préserve. Mais il ne fait pas que du bien. Il a tendance à prendre en étau les bijoux de famille. Déjà que ces derniers sont inconfortablement écrasés sur une selle réduite à une peau de chagrin pour un gain de poids. Alors si le ridicule ne tue pas, il apporte un minimum de chaleur. Ma pratique sportive privilégie l’altitude la majorité du temps. Et une ascension implique une descente à un moment ou un autre. Il faut donc être équipé afin de pouvoir s’adapter aux situations rencontrées.
Jean Marais ou Errol Flynn en portaient aussi un dans les films de “cape et d’épée”. A l’autre extrême, j’imagine qu’un tel costume ne devait pas être évident à tenir sous la chaleur intense des projecteurs de studios. Dans mon cas, cet accoutrement ne m’apporte aucun cachet d’une maison de production cinématographique. Par contre, il m’évite d’en prendre un d’un laboratoire pharmaceutique, et c’est là l’essentiel. A décharge pour mon costume des hautes cimes, je supporte très mal le froid au niveau musculaire. Comme tout méditerranéen qui se respecte, je me sens plus à l’aise avec des conditions météos plus chaudes, frôlant la canicule. Mais sans l’incontournable préparation hivernale, rien ne serait possible en été. Alors je serre les dents sans me plaindre.
La seconde réflexion se porte sur un simple mot, l’essence. Sans surprise, l’essence de cette photo est son cadre naturel. Peu importe la saison, la montagne représente toujours le même écrin sublime. Les routes sont souvent de mauvaise qualité. Le faible rendement du revêtement, couplé aux pourcentages importants, usent les organismes les mieux préparés. Mais l’effort en vaut la chandelle car la récompense se trouve toujours au sommet ! Bien que chaque tour de pédalier intermédiaire apporte une petite pierre à l’élaboration de cet édifice de pur bonheur.
Au fil des kilomètres, le décor change. L’essence irrespirable de la ville est remplacée par celle des arbres qui purifie les poumons. Les strates des forêts défilent, plus ou moins lentement avec le pourcentage, l’état de forme ou de fatigue. L’altitude coordonne cette évolution des senteurs en fonction de la raréfaction de l’oxygène. Ne reste alors bientôt qu’un décor minéral pour parachever la formule de ce parfum naturel. Une note finale lunaire à 2800 mètres, là où le col de la Bonette-Restefond représente le toit asphalté le plus haut d’Europe. L’organisme s’affaiblit, alors que l’esprit connait une thérapie de renaissance par paliers de décompression barométrique.
Au final, j’ai toujours une bonne excuse pour ne pas laisser le dernier mot au ridicule. La chaleur rassurante du collant, n’en déplaise à ma virilité. Cette dernière devra aussi s’accommoder de l’épilation, sale temps pour la masculinité. Une question d’hygiène pour faciliter le lavage corporel ou l’application de l’écran total en été. Vous seriez étonnés de voir toutes les particules d’hydrocarbure qui se collent aux jambes et aux bras lorsque le retour des beaux jours autorise une tenue plus légère. Particules que nous respirons aussi. Bien que le vélo soit un sport extrême, l’oppression de la ville n’a pas d’égal sur l’échelle de la souffrance. Aucune pente ne pourra imposer un pourcentage qui me démoralisera autant que les derniers kilomètres de tortionnaire qui me ramènent en ville. L’essence à laquelle je carbure est ailleurs, là où le coup de pompe emplit les sinus de particules respirables pour libérer l’esprit.
« La peur du ridicule obtient de nous les pires lâchetés. »
Selfie réalisé sur la route verglacée de la Madone de Fenestre