Syndrome de Dorian Gray
Un thème sensible tant l’incontournable question de l’environnement s’est imposée dans notre société. Souvent légitime, elle n’en représente pas moins un débouché pour ceux et celles qui surfent sur la médiatisation pour faire fructifier leur activité économique. Business et préservation de la nature ne font pas bon ménage. L’un voit à court terme, la rentabilité à tout prix sans anticiper les conséquences. L’autre suit le cycle de la vie sur Terre, sur le long terme, au-delà de la dimension d’une vie d’Homme. Mon sujet est basic car il concerne de simples observations de mon quotidien. Il pourrait se résumer en un syndrome, celui du personnage de Dorian Gray d’Oscar Wilde, “cacher pour ne pas voir”.
Passons l’absurdité des centrales nucléaires. Cette énergie qui nous est vendue pour ses mérites de propreté, mais sans prendre en compte les populations que l’extraction de l’uranium emboucane. Ou le coût d’entretien et de modernisation des centrales. Voir pire avec leur démantèlement car un réacteur ne se démonte pas comme une éolienne. Evitons aussi les nouveaux moyens de locomotion électrique, avec les 400 kilos des accus de voitures. Ou encore les trottinettes et vélos, dont l’usage respecte autant notre planète que le code de la route, ou les piétons qui subissent ses bolides sur les trottoirs. Qui va produire l’énergie pour recharger les batteries ? Quel est l’impact de l’extraction du lithium ? Que vont devenir ces accus au moment du recyclage, quand certaines entreprises se débarrassent du lithium retraité en l’intégrant à du ciment ? Comme ces autoroutes construites pour ensevelir des déchets, et dont les répercutions commencent à s’infiltrer dans les nappes phréatiques.
Lors d’une élection, la question de l’environnement a autant d’importance dans le débat que les grands classiques de l’enfumage politicien, comme le chômage, le pouvoir d’achat ou l’insécurité. Chacun de nous est donc sensibilisé sur le thème, largement relayé par les médias, ou les documentaires TV. Et pourtant, jamais le simple geste de jeter au sol un déchet ne s’est autant banalisé. Un papier, un emballage, un plastique. Combien de cigarettes sur les trottoirs ou dans les jardinières en périphérie d’un bar, d’un restaurant, ou de tout autre lieu public au sens large ? Une cigarette au sol a toutes les chances de finir en mer, évacuée par les égouts. Il faut jusqu’à trois ou quatre ans pour dégrader un mégot. Entre temps, il aura pollué jusqu’à 500 litres d’eau de mer. Dans ce curriculum, ne nous attardons pas sur les plages de sable fin qui se transforment en cendrier géant avec le retour des beaux jours, faisant du mégot l’un des principaux tueurs d’océan.
La majorité de la population est sale, irrespectueuse, et agressive avec quiconque se permettrait de lui faire remarquer poliment son incivilité. La simple évocation des libertés individuelles permet de s’affranchir des règles de base du savoir-vivre le plus primaire. Comment expliquer que le moindre trou de chantier urbain soit envahi de déchets ? Canettes, bouteilles, emballages. Comment justifier que les plus beaux panoramas soient les sites les plus souillés ? Comment comprendre une personne qui choisit un site sublime pour déjeuner ou diner, et qui repart en abandonnant sur place les déchets de son repas ? Pourtant, selon une expression ivoirienne, je pensais naïvement qu’il ne fallait pas “chier” là où l’on mangeait. Jamais une société n’aura eu accès au savoir aussi simplement. Et pourtant, jamais l’ignorance n’aura autant repoussé les limites de la bêtise. Bêtise qui ne fait aucune distinction de classes sociales, ou de niveau d’instruction. Le paradoxe d’une société schizophréne, qui pourrait se résumer à l’inoubliable citation de Coluche. “Plus il y a de gruyère, et plus il y a de trous. Mais plus il y a de trous, et moins il y a de gruyère”.
Les véritables héros sont les femmes et les hommes de l’ombre, ceux que je classe dans la rubrique des “talents anonymes du quotidien”. Les éboueurs, les cantonniers, les agents de nettoyage, les “larbins” de l’égoïsme et de la vanité de notre mode de vie. Tous ces corps de métiers dont la simple évocation de la fonction a rendu l’activité péjorative. Un peu à l’image de la paysannerie qui nourrit depuis des siècles une population qui la considère comme un ensemble de “cul-terreux et bouseux”. Que serait notre monde sans les services de nettoyage qui oeuvrent en coulisse, de préférence la nuit ? Que serait le tourisme dans les stations balnéaires ou alpines sans les camions bennes pour limiter l’impact de l’incivilité, et du manque d’éducation ? Un cantonnier a bien plus d’importance dans la gestion de l’état sanitaire d’une ville qu’un médecin généraliste. Un patient en bonne santé n’a nul besoin de consulter un avis médical. Mais ce dernier resterait-il en bonne santé si l’hygiène des rues était à l’abandon ? Pas sûr. Il suffit d’attendre une grève pour en prendre enfin conscience. Sans ces corps de métier, nous serions de retour dans une ère moyenâgeuse. Avec la modernité de la technologie, mais des rues puantes. Techniquement, nous pourrions continuer à souiller le sol de Mars avec des sondes avant même d’y avoir mis un pied. Le gauche de préférence. Un grand pas pour l’Humanité, mais un petit pas crotteux pour les Martiens !
Un sac poubelle est toujours rangé avec mon matériel photo, me permettant ainsi de ramasser tout ce que je peux techniquement porter. J’ai plongé durant des années pour nettoyer les fonds, hiver comme été. Mon épaule a servi de symbole pour ceux qui venaient taper dessus en m’expliquant que les gens étaient dégeulasses. Et pourtant, si peu d’aide m’a été apportée. En pratiquant la macrophotographie, je m’aperçois que les fleurs sauvages sont prélevées pour composer des bouquets éphémères, alors que les déchets qui ont une durée de vie bien plus longue ne sont que trop rarement ramassés spontanément. A croire que les poubelles font tâche dans un vase, mais pas dans une prairie ou sur une plage. Et comme le disent les paroles de la chanson “Respire” de Mickey 3D, “On a même commencé à polluer le désert.”
Le culot de ce syndrome de Dorian Gray est une source d’inspiration intarissable. Pour les images cocasses qu’il me permet de réaliser. Et pour les interrogations qu’il implique. La faute est souvent rejetée sur les industriels qui ne généralisent pas la production de matières biodégradables. Il faudrait donc fabriquer des clopes biodégradables pour que les fumeurs puissent continuer à jeter les mégots par terre, ou les écraser dans le sable de plage ? Idem pour le gobelet, la fourchette, l’emballage ou la bouteille en plastique. Les principaux pollueurs des mers. Mais ne serait-il pas plus judicieux de se poser la véritable question de base: que font ces déchets abandonnés dans l’environnement ? Et bien, il faut ménager la susceptibilité des consommateurs, qui sont aussi des électeurs…
« Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. »
Un pneu de véhicule lourd abandonné entre les rochers d’une plage