Prendre le maquis

Le maquis est une végétation dense et fournie. Il est indissociable du patrimoine et de l’image de la Corse, avant même l’évocation de personnages historiques comme Napoléon Bonaparte, Pascal Paoli ou Christophe Colomb. Il évoque un trait de caractère fort. Un amateur de café le qualifierait de “corsé”, un bien joli jeu de mot pour décrire cette petite île. Et dès qu’il est pris, il devient symbole de refuge ou de résistance à l’oppression. Avec son double sens, le maquis est-il une fleur au fusil ou une fleur à la boutonnière ?

Etant né dans une famille de maquisard de la seconde guerre mondiale, j’ai grandi avec des histoires de résistants luttant contre l’envahisseur. Ma grand-mère maternelle a perdu deux frères fusillés à l’âge de 18 et 26 ans. Elle-même cachait diverses munitions sous le matelas du landau de ma tante. Pratique qui tranche avec celles de notre quotidien: “Chéri, tu as pensé aux couches de bébé ? Oui, elles sont justes à côté des grenades…” Ouille, autres époques, autres moeurs. Bien que je me pose des questions en voyant des militaires déambuler en centre ville au XXI siècle pour assurer notre sécurité. Ces histoires de “partisans” m’ont marqué, au point où lorsque nous devions passer la douane, je ne comprenais pas pourquoi les voitures immatriculées en Allemagne avaient le droit de franchir la frontière. Pour désamorcer tout malentendu, et être accusé de “germanophobie”, je tiens à préciser que j’étais enfant à cette époque.

Une autre anecdote me tient à coeur. Comme de nombreuses régions, la Corse était un terrain miné par de nombreuses munitions abandonnées à l’air libre au lendemain de la guerre. Lorsqu’ils étaient enfants, mon père et mon oncle partaient en excursion avec des amis de la famille. En s’arrêtant un jour sur la plage de Tiuccia, ils trouvèrent un objet à la forme inhabituelle, ovale comme un obus. Ils firent exactement l’inverse de ce que la prudence exigerait. Ils touchèrent l’engin non identifié. Dès qu’une fumée commença à s’en échapper, ils ne prirent pas le maquis mais les jambes à leur cou pour gagner une étape dans le processus de fuite. Mon père a toujours précisé qu’ils ne s’étaient posés aucune question avant de piéter le maquis pieds nus pour courir plus vite. Pour qui connait l’épineuse question de la marche sur une telle végétation, il s’agit d’un exploit sportif de haut niveau ! J’avoue toujours traverser ce pittoresque petit village avec le sourire aux lèvres.

Ne souhaitant pas m’approprier les exploits héroïques de mes aïeux, je préfère me concentrer sur la boutonnière. Je suis d’ailleurs le petit-fils d’un inoubliable tailleur de costume ajaccien. Avant de se présenter à vous, le maquis s’annonce en toute discrétion par un subtil parfum fleuri reconnaissable entre mille. Lorsque je rentre sur Ajaccio, je sens sa présence dès que le bateau enroule les îles Sanguinaires pour se laisser glisser à allure modérée dans le golfe. Une délicate émotion qu’il est impossible de vivre en arrivant par avion. Pourquoi ? Je vous laisse réfléchir. Tout comme la garrigue, le maquis est un symbole du caractère chaud des Méditerranéens. Il se démarque par une préférence pour les sols siliceux, contrairement à son homologue provençal qui prospère sur le calcaire. Il faut être passionné pour s’adapter aux ardeurs d’un climat souvent compliqué. Avec l’aridité, la sécheresse et le harcèlement des vents et des embruns salés, les conditions météorologiques sont extrêmes. Mais la végétation a trouvé son équilibre. Elle se développe en se contentant de peu, philosophie de survie que notre société devrait méditer. Elle s’étale comme une seconde peau composé d’un manteau dense de buissons et arbustes. Et comme la nature n’aime pas le vide, le maquis remplace les forêts d’arbres méditerranéens décimées par les incendies ou les activités humaines.

Comme le roi aux échecs, le maquis ne se prend pas. C’est lui qui nous possède. Peu importe les considérations sémantiques ou scientifiques, le maquis est avant tout un symbole de l’identité corse. Il est l’essence de l’île de beauté, cette infusion de senteurs qui nous envahit dès que nous cherchons à pénétrer la densité de sa végétation, par les chemins tortueux qu’il met à notre disposition. Il aura longtemps été une forteresse médiévale naturelle, un rempart infranchissable protégeant sa population des invasions venues de la mer. Il est le reflet de l’âme insulaire, le pendant botanique de la devise corse “Souvent conquise, jamais soumise”.


« Au parfum de son maquis, de loin, les yeux fermés je reconnaîtrais la Corse. »
— Napoléon Bonaparte

Un coucher de soleil entre le maquis corse, les granites roses, et la mer Méditerranée

Un coucher de soleil entre le maquis corse, les granites roses, et la mer Méditerranée