Folie de designer
Si la question m’était posée, je répondrais qu’il existe d’avantage d’interrogations en ce bas monde, que de réponses. Peu importe le domaine ou même la réponse. Ce qui compte est le cheminement qui tend à apporter une solution, ou lancer un débat. Pourquoi le Toblerone a-t-il cette forme triangulaire ? Dans une société qui uniformise tout pour rentabiliser le moindre centimètres carré, la tablette de chocolat semble plus adaptée. Le Toblerone serait-il lui même s’il n’avait pas été triangulaire ? A croire que je n’ai jamais dépassé l’âge du “Dis papa, c’est quoi cette bouteille de lait ?”. Je suis composé d’atomes d’incertitudes, et pas uniquement lorsque je me rase. Pire, il m’arrive de ne pas pouvoir répondre parce que j’ai la bouche pleine. Avec ou sans meringue la tarte au citron du déjeuner ? Booh-booh-booh…pardon…avec bien-sûr !
Une question existentielle me poursuit dès que je me plonge dans la macro. Par quelle folie de designer la nature parvient-elle à faire apparaître des formes de vie aussi variées ? La sélection naturelle, peut-être. Cette pointe de malice qui suscite l’intérêt et permet de se démarquer. Certains animaux ou plantes arborent des couleurs et des motifs voyants afin d’attirer l’attention sur eux. Un message d’avertissement pour signaler aux prédateurs potentiels un risque de toxicité. La robe flamboyante d’un mâle, gage de vigueur masculine, invitant les conquêtes féminines à l’accouplement. Ou un parfum de nectar enivrant pour encourager les fins gourmets à entreprendre leur rôle de pollinisateurs. Une folie de designer pour survivre, ou se reproduire. Une course à l’originalité afin d’assurer la pérennité d’une espèce. Mais alors, comment se reproduisent toutes les formes de vies qui ont fait le choix de la discrétion et du camouflage ? Pas vu, pas pris, mais célibataire ! Mais non, je plaisante bien-sûr.
Et si la sélection naturelle était un coup de génie commercial. Il n’existerait pas autant de splendeurs improbables si la nature n’avait pas la notion de l’esthétisme. Alors que le design se lasse de lui-même, et doit sans cesse renouveler les modes, les beautés naturelles suscitent toujours l’émerveillement saisons après saisons, années après années. Avec le retour des beaux jours, j’attends toujours avec impatience que les champs se couvrent d’un espiègle tapis coloré composé de pâquerettes, coquelicots ou anémones. Je me promène alors entre les jeunes pousses et les bourgeons à la recherche de la perle rare à photographier, comme si je déambulais dans les allées d’un grand magasin en quête de la bonne affaire. Mon boîtier et mon trépied remplaçant le caddie. La nature n’a nul besoin de marketing ou d’étude de marché pour satisfaire une clientèle à l’instinct affuté.
La sélection naturelle est aussi et surtout une affaire de femmes. Et je ne pense pas forcément à la fameuse ménagère de moins de cinquante ans, ou à une revendication féministe. De nombreuses espèces doivent leur beauté aux choix avisés des femelles. Les mâles peuvent arborer de superbes plumages, tuniques ou robes uniquement parce qu’ils sont minutieusement inspectés par ces dames, favorisant ainsi la richesse des patrimoines génétiques. Autant dire que rien ne serait possible sans leur pouvoir décisionnaire et leur sens avisé de la critique artistique. Au final, dans la sélection naturelle de l’évolution, l’homme propose et la femme dispose.
Plus je me rapproche de la nature, et plus je m’éloigne de certains concepts humains. Les religions ont de belles histoires à raconter, ou des préceptes philosophiques à enseigner. Mais je ne vois aucun message divin dans toutes ces merveilles du quotidien. Se faire beau ou belle, se parfumer, susciter le désir ou l’intérêt, rien de plus que ce qui existe déjà dans le règne animal et végétal. Mon professeur de philo de terminale affirmait catégoriquement que ces mêmes animaux n’étaient pas intelligents, mais instinctifs. L’observation me pousse à croire l’inverse. Il existe une intelligence brute et non formatée, basée sur la logique et le bon sens. Si nous devions comparer les courses à l’armement de cette planète, le véritable raisonnement sain ne serait pas l’apanage de l’esprit humain qui n’a de talent que le plagiat des oeuvres naturelles qu’il pille et souille sans vergogne.
« La sélection sexuelle dépend de l’ardeur, du courage, de la rivalité des mâles autant que du discernement, du goût et de la volonté de la femelle. »
Des fleurs roses de lamium amplexicaule