Allez les verts

Aujourd’hui il est coutume de dire qu’il faut sauver Willy, le soldat Ryan, et les abeilles. Ces dernières étant l’un des principaux pollinisateurs, leur disparition progressive due aux activités humaines a de quoi inquiéter. Mais cette extermination de masse touche l’ensemble des animaux dont certains ont le même rôle de pollinisation. Dans ce décompte macabre, il est dommage de minimiser le rôle de certains prédateurs dont la mission est tout aussi cruciale dans l’équilibre naturel. Ce rôle de gestion des populations est aussi ingrat qu’indispensable, et il incombe à la sale gueule de la bande, l’ordre des arachnides. Ce groupe est composé en particulier des araignées et des scorpions. Rien que le temps d’écrire “araignée”, j’ai comme une désagréable impression, celle de huit pattes qui grimpent lentement vers mon cou. Booo, frisson assuré !!! Et pourtant, elles sont incontournables, autant que les abeilles avec leur pyjama rayé de Dalton en cavale. Alors les mygales et autre veuves noires, sale gueule ou gueule d’ange ?

Sale gueule, sans hésitation ! Ma mauvaise foi est le fruit du travail de sabotage de ma grande soeur qui avait pour habitude de glisser des crabes dans mon maillot de bain de taille “2 ans”. Traumatisé dès le bas âge par cette malheureuse comparaison m’obligeant à amalgamer les ressemblances de deux espèces animales différentes. Mais comment raisonner dans de bonnes conditions avec mon maillot de bain aux chevilles, vérifiant qu’il ne reste plus rien d’accrocher à mes fesses. Fesses ou pire, de quoi finir d’urgence dans une discrète arrière boutique de pharmacie (n’est-ce pas, Guy ?). Choqué à vie, dès le berceau, par cette terrifiante conclusion que j’étais finalement plus sage que ma grande soeur. Bien que refoulé au plus profond de mon subconscient, cet aspect douloureux de ma vie est remonté dernièrement à la surface lorsque ma soeur (si si, toujours elle…) a décidé de prendre un petit chien pour mes neveux. Je lui ai demandé si lui aussi allait se faire tirer les cheveux et les oreilles par cette “horde sauvage” ? La réponse obtenue fut “Ne te plains pas car personne ne va te tirer la queue à toi…” Haaa mes oreilles, mes oreilles ! Oui je sais, j’ai honte d’être toujours le petit frère plus sage que sa grande soeur après plus de quarante ans. Les sueurs froides des crabes dans le maillot de bain sont alors remontées à la surface, m’obligeant à répéter à haute voix une petite récitation rassurante pour désamorcer la situation: “Les chiens ne sont pas des araignées…les chiens ne sont pas des araignées…les chiens ne sont pas des araignées…” Voilà, deux cachets, et hop, au lit. Et comme par hasard, l’unique araignée du “Silence des Agneaux”…euh non…du “Seigneur des Anneaux” était cachée dans un coin vicieux du Mordor, juste après une interminable montée d’escaliers sans ascenseur ou escalator. Heureusement que Spiderman relève un peu le niveau de considération de ces bestioles, malgré son costume de déguisement en lycra bien-sûr.

Et si le doute était permis ? Il faut vraiment partir de très loin parce que les araignées n‘ont pas vraiment des tronches de porte-bonheur. Ayant une expérience dans la grande distribution, c’est aussi un peu le cas des vieux qui sont déjà à l’affut derrière la porte du magasin, quinze bonnes minutes avant son ouverture ! Attention, que les navets et les carottes se tiennent à carreau car les prédateurs ne vont plus tarder. Enfin, bien cuits les légumes car la dentition n’est plus celle des mâchoires du Serengeti. Pourtant, il faut reconnaître qu’il en existe des sympas, qui disent “bonjour” et “merci”. Peut-être que chez les araignées aussi. Ou est-ce l’effet de la canne de marche qui m’attendrit autant ? Il est vrai qu’avec la souplesse du déplacement de chasse qui décline avec l’âge, les voir vous bondir dessus avec surprise est plus rare. Généralement, dès que mon odorat affuté de proie potentielle détecte une odeur de naphtaline, je file me mettre à l’abris dans la réserve. “Elles viennent d’où vos courgettes ?” “De la réserve ! Attendez, j’y retourne…” Parfois je me demande si la solution à ma phobie ne viendrait pas tout simplement du chiffre huit. Avec une canne, et neufs pattes, les araignées me semblent immédiatement moins effrayantes. Quelle est la principale différence entre un insecte et un arachnide ? Le nombre de pattes bien-sûr. Le premier en a six, et le second neuf ! Et voilà, le tour est joué. Il n’y avait franchement pas de quoi finir aussi souvent le maillot de bain aux chevilles…

Et la gueule d’ange alors ? Ah oui c’est vrai, il faut répondre à cette question existentielle. Mouais, faut vraiment rater la mise au point pour y voir un début de gueule d’ange. Et il est rare d’observer une araignée avec des ailes. Bien que certaines volent accrochées à un fil comme Mary Poppins à son parapluie. Si elles pouvaient embarquer une “GoPro”, elles feraient facilement le million de vues sur youtube. Les araignées sont assez cool au final. Ce sont des super prédateurs miniaturisés. Miniaturisés si on les compare à un requin blanc, ou aux deux autres assistés, l’orque Willy et le soldat Ryan. Comme tous les prédateurs, être au sommet de la chaîne alimentaire implique des responsabilités, dont celle primordiale de régulation des populations. Si Spiderman était cannibale, il y aurait moins de temps d’attente au guichet de La Poste. Et si il acceptait quelques fois de se faire les dents sur une vieille savate, je n’aurais pas besoin de courir me planquer aussi souvent dans le frigo de la réserve. Dans les champs ou Auchan, l’équilibre naturel est assuré par les araignées, vieilles ou jeunes, à huit ou neuf pattes. Et que dire de ce talent d’architecte qui nous donne cette chance merveilleuse de pouvoir admirer des toiles sublimes, tracées avec un talent fou, sans le moindre artifice. Comme les ampoules des galeries d’art sur les toiles tendues, ce sont les gouttes de rosée ou de pluie qui mettent en valeur ces peintures tissées sous un collier de perles d’eau. La véritable “jeune fille à la perle” n’est pas une oeuvre isolée de Vermeer.

Mon objectif s’est posé sur un spécimen. Personnellement j’ai tout tenté pour le freiner, mais je n’y suis pas parvenu car ce texte est accompagné d’une photo. Bien que nette, cette image ne montre pas vraiment une “gueule d’ange”. Mais il faut reconnaître que cette femelle de l’espèce “micrommata virescens” est tout simplement sublime ! Je ne parle pas uniquement de cette couleur de camouflage qui lui facilite grandement la vie car elle chasse à vue, sans tisser aucune toile. Mais de sa posture, quelle classe, non ? Prête à bondir du haut de cette tige ! Ses longues pattes de mannequin de mode lui permettent de courir très vite, en survolant littéralement les herbes des prairies. Mon objectif a d’ailleurs eu beaucoup de mal à la suivre car, comme je freinais des quatre fers, nous avons commencé avec un tour de retard, malheureusement vite rattrapé pour obtenir ce cliché. J’ai hésité sur le titre. Vert…pré…et puis je me suis rappelé une blague carambar qui colle aux dents et à la mémoire: “qu’est-ce qui est petit, vert, et qui pousse dans un pré ? Un petit-pois ? Non, un martien en train de démouler une grosse terrine dans un champs.” Heu, c’est d’un goût ! Ça va pas trop le faire. Et pourquoi pas un hommage à mes années soixante-dix ? “Sur la plage défroqué, coquillages et crustacés…”, avec son épopée stéphanoise, “Allez les verts !”

Convaincu ou pas ? Je commence à l’être. L’image de cette araignée qui vole accrochée à un fil est surprenante. Mais a-t-elle véritablement conscience de ce qu’elle fait, ou a-t-elle raté une marche en cherchant à tisser sa toile ? Je ne sais pas si elle en a autant que les yeux, mais il faut reconnaître qu’elle est couillue ! Nul doute qu’elle maîtrise cette anémochorie du vol spatial. Une telle créature ne peut pas être originaire de l’enfer, en particulier sur ce site. Ce n’est d’ailleurs pas elle qui a inventé le concept d’armes de destruction massive, le Fanta sans bulle, ou le volume sur les télévisions pour bien faire caguer le voisinage. Et puis, avoir une araignée sous le toit est synonyme d’une maison saine. On ne peut pas en dire autant pour les programmes TV.


« Quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée, et voilà une rivière de diamants. »
— Jules Renard

Micrommata virescens est une sublime araignée verte

Micrommata virescens est une sublime araignée verte

Christian Laudato