Cachet d'iode

 

Durant de nombreuses années, j’ai photographié des paysages méditerranéens, de préférence montrant la mer dans tous ses états. Une puissance fascinante, mais un équilibre si fragile. Une beauté corrosive avec le matériel. Je suis né, j’ai grandi et je vis toujours écartelé entre deux éléments, la terre et l’eau. Une ressource vitale inépuisable pour le corps et l’esprit, en lévitation entre les hauts sommets, et les fonds marins. Un état d’apesanteur spirituel que seuls les astronautes pourraient d’écrire physiquement. Je ne considère pas cette ressource pour ses qualités purement industrielles, victime d’une exploitation outrancière, et motivée par d’uniques critères de rentabilité commerciale. La véritable richesse ne se résume pas au PIB d’un état.

Il est difficile d’échapper à l’actualité en cette période de scandale sanitaire, de confinement, et de douleur à l’échelle mondiale. Si seulement cette expérience pouvait permettre de relativiser la source de certains conflits armés. Pas sûr car trop d’intérêts en jeu. Pourtant les boucheries des deux guerres mondiales étaient d’excellentes occasions pour poser les bases d’un monde nouveau. Mais point de “reset” ou de réinitialisation planétaire. Juste une “mise à jour” qui conduit à décaler les zones de conflits dans les pays les plus pauvres. Ce drame nous rattrape aujourd’hui dans nos forteresses de l’opulence et du gaspillage, qui se doublera d’un alter ego environnemental lui aussi annoncé, et inévitable. Les opérateurs téléphoniques lâchent certains chiffres dont la réalité résonne étrangement avec les flux migratoires fuyant les zones de conflits à travers le monde. Un exode de 27% de la population d’Ile de France, représentant un million de personnes s’agglutinant sur les routes, dans les halls de gares ou d’aéroports en période de pandémie mondiale. Cherchez l’erreur ! Les salles de pas perdus remplacent les embarcations de fortune. Mais cette fois-ci, point de rivage de Lampedusa ou Lesbos, mais les plages d’îles bretonnes, ou de stations balnéaires françaises. Il m’est impossible de répondre à la première question qui s’impose dans une telle situation. Faut-il en rire, ou pleurer ? Par respect pour le personnel hospitalier, j’aurais tendance à privilégier la seconde solution.

Ordre, contre-ordre, hésitation, volte face. Une incompétence à laquelle se rajoute la malhonnêteté des conflits d’intérêts au sommets de l’Etat entre laboratoires et ministres, ou spécialistes conseillant les décideurs. Mais comment le citoyen peut-il encore imaginer qu’un président de la république puisse réellement disposer des codes de l’arme nucléaire. Un homme de paille nommé pour un mandat de cinq ans, sans la moindre expérience ou compétence en matière de stratégie militaire, disposerait au bout du doigt d’un armement de dissuasion et de destruction massive coûtant des millions ? Et pourtant incapable de gérer de simples réserves nationales de masques chirurgicaux. L’exemple est simpliste bien-sûr, bien que nous soyons face à des gouvernants qui se noient dans la bave de leurs propres mensonges. Appuyer sur un bouton pour déclencher une riposte nucléaire nécessite le courage d’une prise de décision, sans la moindre hésitation à l’allumage. Tout le contraire de notre actualité. A force de virage à 180 degrés, la question de savoir si il y a toujours un pilote dans l’avion se pose tant l’exécutif semble inapte au service. Ce sont eux qui devraient être invités à cueillir les gariguettes à la place des profs, tant ils semblent tous aux fraises.

Je suis né en Corse, et j’ai la chance de connaître les Alpes-Maritimes depuis de nombreuses décennies. En plus d’être deux régions “tra mare e monti” (entre mer et monts), elles m’ont permis de vivre de nombreuses passions, l’apnée, le cyclisme et la photographie. Mais une autre particularité relie ces deux régions, le mensonge d’état, et celui qui entoure le nucléaire au sens large. Je n’oublierai jamais l’accident de la centrale nucléaire soviétique de Tchernobyl. La gestion nationale avait été odieusement catastrophique, au point qu’un concept burlesque en découla, celui du nuage radioactif s’arrêtant aux limites de nos frontières géographiques. Alors autant dire que trois poils de cul de pangolins chinois infectés n’auront aucune incidence sur la santé des gaulois.
Les deux régions auxquelles je suis le plus attaché ont toutes deux été gravement impactées par les retombées radioactives de Tchernobyl. Certaines zones de l’arrière-pays niçois comme le Mercantour, ou le relief de la Corse, affichent toujours des mesures élevées de radioactivité. Un nombre important de cancers ont été diagnostiqués suite à ce nuage. Trente quatre ans après, il est impossible de trouver un semblant de réconfort dans une morale de justice car les procès découlant des crises sanitaires accouchent souvent d’une souris, en particulier en matière d’essais nucléaire, ou de contaminations dues à un accident dans un réacteur.

En 1986, les alarmes d’une caserne de pompiers d’Ajaccio s’étaient déclenchées suite à l’arrivée des particules de radioactivité. L’information était remontée jusqu’aux plus hautes sphères de l’état, certainement par tous ces hauts fonctionnaires que le citoyen se doit de respecter pour le rôle qu’ils assurent dans le fonctionnement de notre république, autant que pour leur titre ronflant. Alors que les pays frontaliers avaient reconnu les dangers, organisé la distribution de produits de protection de l’organisme, et lancé des campagnes médiatiques concernant les aliments qu’il fallait absolument ne plus ingérer, la France restait muette. L’accident n’apparaissait qu’au fin fond des quotidiens de la presse écrite. Aucune réaction, la population se voyant de fait refuser l’administration de cachets d’iode indispensables pour protéger la thyroïde. Inconcevable concernant l’une des trois principales puissances nucléaires mondiales. Ou plutôt, logique ! De gauche ou de droite, ce sont toujours les mêmes auxquels nous confions la barre du navire, malgré les naufrages successifs. Nul doute que pour celui-ci, ce sera sans aucun doute la faute au gouvernail dont la longueur trop courte nous aura empêché de contourner et d’éviter cet iceberg que certains avis d’experts prévoyaient depuis des années. Les débats à l’assemblée nationale ressemblent déjà à la cacophonie d’une cour d’école maternelle, autant en profiter pour continuer à infantiliser l’opinion publique.

Troublant comme la gestion de cette crise d’hier rappelle celle d’aujourd’hui. Comment ne pas faire le parallèle avec le vocabulaire militaire qui décrit ces guerres contre des ennemis invisibles. Je suis écoeuré de voir partir au carton tous les soldats du quotidien, en première ligne ou pas. Ces hommes et femmes à qui nous demandons de combattre “tout nu sur la ligne Maginot” comme eux-mêmes le disent si bien. Je ne peux m’empêcher d’être horrifié à l’idée de sacrifier des populations avec des moyens de protections dérisoires pour rattraper les conneries de nos politiques. La similitude est frappante avec les militaires soviétiques dégageant le toit de la centrale de Tchernobyl. Ou bien encore ces “gueules noires”, des mineurs tentant de creuser un tunnel sous le réacteur endommagé, condamnés à mort par un aller sans retour en enfer. Les “liquidateurs” d’hier, payant le prix fort pour avoir respiré un unique et minuscule grain de sable contaminé, sont les personnels en première ligne d’aujourd’hui. Le nom change, mais l’écoeurante vérité demeure. Les moyens de protection ne sont pas adaptés, et il n’existe pas de traitement miracle, de la même manière que les cachets d’iode sont interdits à la distribution. Vous êtes invités à crever en silence, confiné dans une stratégie politique qui joue autant la montre que les vies de ses citoyens pour cacher la véritable misère de la septième puissance économique mondiale, et l’échec de notre dictature technocratique.

Comment ne pas être amoureux de la France, pour sa richesse géographique et la diversité de ses cultures régionales. Pourtant, j’ai honte d’être français. Coluche disait que notre pays avait choisi le coq comme emblème car il était le seul oiseau capable de chanter les pieds dans la merde. Il avait raison. Sur l’échiquier mondial, face aux grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou la Russie, la France illustre le complexe du petit roquet qui ne cesse d’aboyer. Elle fanfaronne et claironne, en s’appuyant sur un passé intellectuellement glorieux, citant la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen pour justifier ses discours moralisateurs. Mais la brillance des lumières d’autrefois s’est éteinte avec la médiocrité de nos élites d’aujourd’hui. La paille dans l’oeil du voisin semble toujours plus étroite que la poutre qui masque notre triste vérité. Dans ce théâtre de guignol, la dernière manière qu’il reste à notre pays pour irradier la scène internationale de sa présence se résume aux zones radioactives du pays. Je revis mes cours de géographie, dans lesquels nous étudions les niveaux de richesse des pays du globe, et ceux que nous nommions “tiers monde”, ou pire “quart monde”. En mars 2020, la France ne vaut pas mieux que ces économies que nous méprisions dans les livres scolaires. Ce virus est un révélateur de la gestion d’un état. Peut-être que le PIB devrait être l’indice qui mesure le bien-être en chacun de nous. Produit Intérieur Brut, soit le niveau de bonheur qu’un régime suscite. Nul doute qu’il nous faudra plusieurs cachets d’iode pour atténuer l’aigreur. A condition qu’il en reste en stock.


« Dans la maison de la fourmi, la rosée est un déluge. »
— Proverbe persan

Des vagues de tempête s’écrasent sur un rocher de granite

Des vagues de tempête s’écrasent sur un rocher de granite

Christian Laudato