En toute simplicité
La photographie est une discipline vivante en constante mutation, comparable à un animal dont la mue est vitale pour survivre. Ce changement radical illustre la nécessité d’éviter l’étouffement sous des couches étroites et inutiles, synonyme d’une vision globale étriquée. L’évolution est perpétuelle sur le plan technique, artistique, et social. Elle décrit une orbite elliptique autour des explorations et des découvertes, des réussites et des échecs qui jalonnent le parcours d’un photographe. Un va-et-vient incessant, énergivore, obéissant à une force gravitationnelle dont la principale victime est la simplicité naïve des premiers clichés. Puis l’élan s’affaiblit sous l’érosion de la quête d’une perfection inaccessible, jusqu’à la syncope de l’inspiration. La renaissance ne pourra se dispenser d’un retour originel aux sources de la passion, pour impulser une nouvelle dynamique au cycle de la création.
La photographie ne peut-être réduite à une seule discipline. Elle est composée d’une multitudes de branches dont chaque ramification mène à des techniques diverses et variées. Le domaine d’action et d’expérimentation est vaste, complexe comme celui d’un réseau hydraulique. Il enrichit la méthodologie de ceux et celles qui n’hésitent pas à naviguer dans les méandres d’affluents secondaires. Les courants ainsi obtenus communiquent, interagissent et se mélangent. Ils concentrent les découvertes dans un ultime axe fluvial principal, celui de l’expérience. Pourtant, trente années de navigation en tout genre ne m’ont pas empêché d’échouer sur un banc de sable imprévisible. Malgré la crise de vocation qui en suivi, j’avoue que ce naufrage inattendu me fut bénéfique, comme le besoin vital d’une totale remise en question du réseau sur lequel je naviguais à l’image d’un “bateau ivre” d’Arthur Rimbaud.
L’expérience est souvent décrite comme la somme des connaissances qu’un individu acquiert par la pratique au fil du temps. Cependant, il est dangereux de lui confier les pleins pouvoirs car il ne faut pas confondre “savoir” et “croire savoir”. Ou littéralement, peut-on croire dans son savoir ? Les conseillers n’étant pas les payeurs, j’aurais tendance à répondre par la négative. Cette notion d’expérience ressemble aussi à un voile de fumée qui brouille les cartes en emprisonnant l’esprit de créativité dans la cage d’acier des habitudes. Certes, cette routine facilite le travail de qualité par la maîtrise technique, mais elle interdit la prise de risque indispensable à l’innovation. Comment se renouveler en appliquant toujours les mêmes préceptes à son travail ? Le simple fait de se poser cette question anodine prouve qu’il est temps de revenir aux sources, dans un espace temps primordial que je connus à mes débuts. Un énigmatique mur de Planck précédent mon “big bang” passionnel pour la photographie.
« Le plus difficile dans la photographie est de rester simple »
La macrophotographie m’a remis sur les rails. Je ne navigue plus, je roule: la quille s’est muée en bosse ! Même si la discipline ne m’était pas étrangère, je ne l’avais jamais considérée comme un domaine exclusif, encore moins comme une véritable thérapie. Et pourtant, elle m’a mis un coup de pied au cul monumental. J’ai fait trois rotations gravitationnelles de mon slip sans toucher l’élastique ! Un retour vers le futur me propulsant trente ans en arrière dans un espace temps où la béatitude accompagnait le déclenchement maladroit de chaque prise de vue. Je suis enfin redevenu un débutant découvrant le monde au travers d’un objectif ultra spécialisé. L’incertitude du résultat final n’est pas aussi aléatoire que celle de l’argentique car l’écran de contrôle numérique me permet d’avoir une première lecture immédiate. Mais la chance y joue à nouveau le rôle primordial qu’elle ne devrait jamais perdre, celui du plaisir de découvrir une image au travers du prisme insolent de l’imprévisibilité, facteur qui sonne rarement deux fois à la même porte. Une version affective de la théorie du chaos.
Le monde de l’infiniment petit m’a offert un relooking complet, une remise en question totale de mon expérience, de mes connaissances techniques, de mon support matériel. Elle m’apprend chaque jour à observer le monde d’un oeil nouveau en mettant l’accent sur les détails les plus insignifiants. Toute matière n’est-elle pas composée d’atomes invisibles à l’oeil nu, eux-même formés de particules élémentaires encore plus discrètes ? Je deviens spectateur privilégié du spectacle vivant qu’offre la nature dans un décor de totale sincérité et transparence. Les politiques devraient s’en inspirer d’ailleurs. Avec ses beautés, ses tours de magies, et ses drames. Point de routine, ou d’expérience nécessaire avec son handicapant surpoids de bagages techniques. Chaque créature joue son rôle dans un cycle de vie d’une rare simplicité. Les photographies sont régies par les mêmes règles sauvages. Elles témoignent en s’adaptant aux circonstances, et aux caractéristiques des sujets photographiés. Elles déchiffrent les codes de camouflage des uns, défient la vitesse des autres, tout en subissant l’outrage des éléments naturels. Les bombardements destructeurs des gouttes de pluie, les vagues de submersion de la rosée matinale, l’étreinte sous stéroïdes du givre hivernal, ou la violence cyclonique de la brise.
La théorie de l’évolution de Darwin prend vie sous mes yeux, matérialisant les liens qui existent entre les espèces découvertes et les noms latins qui leurs sont associés. Connaître le petit nom rend la rencontre plus intime. J’ai 46 ans, et je deviens enfin acteur actif de ce que je photographie, de la réalité des stratégies de survie, aux techniques de chasse. Mon calendrier se transforme en carnet de rendez-vous “over-booké” sur l’année entière. La floraison d’une fleur, la disparition d’une feuille, l’apparition d’un insecte, l’hibernation frileuse d’une créature “même pas cap” de défier l’hiver. D’une nature maniaque avec la propreté de mon matériel, je me languis du retour du pollen qui se dépose sur mon trépied ou mon boîtier comme une couche de poussière à laquelle je ne peux me résoudre de mener une guerre sainte. Ces infimes grains jaunes, sources d’allergies respiratoires, m’adoubent dans ce royaume auquel je prête serment d’allégeance pour assurer à mon tour un rôle de pollinisateur naturel. Je quitte ainsi un monde artificiel dans lequel l’affichage ostentatoire du matériel est moteur de vanité, pour plonger à corps perdu dans un réseau social suzerain. Une pyramide féodale dont les liens de vassalité consolident la symbiose parfaite de la vie.
La macrophotographie est une démultiplication des sens, à l’image de celle qui assure la puissance instinctive du règne animal dans toute sa splendeur. Elle enseigne l’importance de ne pas négliger les détails insignifiants du monde qui nous entoure. Elle m’apparait comme une réponse primitive aux contradictions destructives de la modernité. Oxymore optique doué du pouvoir grossissant d’un microscope, elle permet d’appréhender la nature dans sa globalité tel un objectif grand-angle. Une simplicité de raisonnement qui m’aide à retrouver l’intuition originelle à la base de ma quête spirituelle et photographique. Rien de plus qu’une vie rythmée par le code binaire d’un coeur qui bat. La passion est à nouveau le vecteur indéfinissable qui animait jadis l’enthousiasme de mes débuts. La genèse d’une anémochorie dont la simplicité se résume à la légèreté qui guide le voyage hasardeux d’une graine aux quatre vents.
« La simplicité est la sophistication suprême »
Le coeur d’une orchidée blanche