Un mars, et ça repart

 

Le mois de mars se prête à merveille à un slogan. “Un mars, et ça repart” sonne comme un renouveau, celui du printemps, du passage à l’heure d’été, du retour des beaux jours. Mais le Bien s’accompagne souvent d’une vilaine part d’ombre qu’il faut apprendre à accepter, pour mieux la combattre. “Un mars, et ça repart” sous-entend une barre chocolatée, des calories, et l’agressivité d’un excès de sucre. D’où le choix d’une image d’illustration montrant une interprétation macro d’une brosse à dents nappée de dentifrice (une brosse dédiée aux lessives, et non à mon sourire carnassier). Comme une métaphore fluo au goût fluor, celle d’une société défraîchie qu’il faudrait nettoyer en profondeur pour lui rendre un visage dépollué au doux parfum de menthe et d’eucalyptus.

Le renouveau car le portfolio du site s’est enrichi d’un échantillon de nouvelles photographies réalisées cet hiver. Il est possible de ressentir les premiers soubresauts d’un printemps qui s’annonce précoce, changement climatique oblige. A condition bien-sûr qu’un véritable hiver ait eu lieu cette année ? Pour la photographie naturaliste, le printemps est l’équivalent de la période du 25 décembre pour le père Noël. Autant dire que cette étape est incontournable, et pour le moins festive. Mais il ne faut pas être ingrat avec l’hiver. Bien que cette étroite transition marque une fracture radicale en terme de richesse d’espèces en activité, la pauvreté de la biomasse hivernale confère une rareté qui donne plus de valeur au désert vivant que le froid laisse échapper à la vigilance de son étreinte glaciale. Si le printemps était un marché libéral d’une insolente opulence, alors l’hiver serait un régime totalitaire basé sur une magie discrète et subtile.

Mais il est compliqué de profiter de ce printemps 2020 qui restera sans nul doute dans les annales à plus d’un titre, au sens propre et sale. Le covid-19 sera passé par là. Et impossible de savoir combien de temps durera cette crise, pour ne pas dire scandale sanitaire. En photographie, le coronavirus m’oblige à garder une distance de sécurité, un mètre selon le ministère de la santé. En vélo sur la route, je subis la version brassée et mexicaine du virus, soumis aux mêmes règles d’éloignement, édictées cette fois-ci par le code de la sécurité routière concernant les distances de sécurité à respecter pour éviter tout contact abusif. Peu importe la discipline ou l’indiscipline, le manque de civisme ou de savoir-vivre me choque et me terrifie bien plus que la maladie. Un virus se traite par des gestes barrières, des traitements ou des vaccins préventifs. Mais la bêtise est un fléau incurable et sans limite, d’autant plus impardonnable à une époque où l’accès à la connaissance n’a jamais été aussi accessible au plus grand nombre. A croire qu’il faut faire une distinction philosophique entre cette connaissance mis à disposition librement, et le savoir qui en découle, et qui permet à une minorité d’enrichir l’esprit par la culture.

La frontière est mince entre ces deux concepts, les manifestations se matérialisant par la cohérence des rapports qui en découlent avec la planète.
Le constat est le même pour le niveau d’hygiène de notre société. Les gels hydroalcooliques ressortent à chaque crise sanitaire. La mode est bel et bien un éternel recommencement. Alors que ces gestes barrières devraient s’imposer d’eux-même au quotidien pour une simple question de bon sens, même sans la menace pesante d’un virus implacable. Sortir des transports en commun, toucher une pompes d’essence pour faire son plein, puis se désinfecter systématiquement. Une discipline de gestes simples qui permet de faire des économies de PQ en période de gastro, ce même PQ qui vient de se transformer en une denrée rare, et sur laquelle la psychose a jeté son dévolu. A croire qu’une nouvelle période de chasse vient de s’ouvrir, ou plutôt d’être tirée au hasard.

Pandémie ou pend-au-nez ? Une pandémie peut apparaître sous différentes formes. Celle du ridicule en est certainement la souche la plus virulente et la plus indécrotable, malgré les progrès de la science, de la médecine, et de l’hygiène. Cette hygiène de base du corps et de l’esprit, accessible à tous dans nos sociétés de l’opulence et de la surconsommation dans lesquelles certains seront obligés de manger des pâtes jusqu’à la “Saint Glinglin” afin de pouvoir écouler les stocks sur lesquels ils viennent de se jeter sans discernement. Espérons qu’ils ne soient pas constipés car ils disposent d’un stock de PQ proportionnel. Si seulement les masques FFP1 et 2 pouvaient aussi filtrer la connerie, ce serait une bonne raison pour faire des stocks d’état pour plusieurs milliards d’unités.

Il apparait évident que notre modèle de société est un échec total. Il existe différentes manières de prendre une claque, et celle que nous connaissons aujourd’hui est la plus honteuse. Jamais l’adage “Anima Sana In Corpore Sano” (ASICS) n’avait autant été foulé aux pieds. L’indiscipline est odieuse, alors qu’un confinement ne ressemble en rien à la mobilisation de guerre qui a frappé nos aïeux aux cours de l’Histoire. Inutile de saluer tous les soirs les efforts des personnels médicaux, si c’est pour leur manquer de respect par le mépris des règles de confinement dès que le jour se lève. Mieux vaut devoir rester chez soi, plutôt que de partir se battre dans les tranchées du hachoir à viande de Verdun en 1916.

L’espèce dominante de la planète terrassée sur son balcon, le nez et la bouche muselés à la fenêtre. Le ridicule de la situation pourrait s’arrêter là. Mais pour boire le calice jusqu’à la lie, les beaux jours reviennent. “Un mars, et ça repart”. Oui, mais sur terre, la nature a de quoi se friser la moustache, avec et sans les mains propres, car un printemps étrange se profile à l’horizon. Un horizon revanchard, un peu plus clair et proche cette année car délivré de la brume industrielle. Alors que l’Humanité retient son souffle, il y a bien longtemps que l’air n’avait été aussi respirable, épargné par les particules des activités humaines. Mais ce spectacle se fera sans nous, toute l’ironie du confinement ! Comme un retour de manivelle annoncé. Un fiasco inévitable. Un colosse au pied d’argile prisonnier de lui-même devant Netflix. La douce vengeance d’une injustice, celle d’une nature piétinée et méprisée en toute impunité depuis trop longtemps.


« Beaucoup cependant espéraient toujours que l’épidémie allait s’arrêter et qu’ils seraient épargnés avec leur famille. En conséquence, ils ne se sentaient encore obligés à rien. »
— Albert Camus - "La Peste"

Détail de dentifrice posé sur une brosse à dents

Détail de dentifrice posé sur une brosse à dents