Carbone gigolo

 

Le titre est un clin d’oeil au film “American gigolo”. J’ai eu l’occasion de le voir pour la première fois par hasard grâce à mon fournisseur d’internet qui a rendu gratuit l’accès à l’un de ses bouquets ciné au cours du confinement. Je ne suis pas allé au bout car je n’ai pas accroché à l’histoire malgré le sympathique Richard Gere. Il aura eu le mérite de m’inspirer une extrapolation du sujet principal, pour le transcrire sur l’étroit rapport que j’entretiens avec mon matériel, ou plutôt” avec le “matos” pour les intimes. Ce dernier est un amant qu’il faut entretenir, et sur lequel je veille jalousement avec pour principale devise “Tu ne prêtera jamais !” Le thème est intéressant car il oppose deux notions aux philosophies contradictoires. Dans le coin gauche du ring, en culotte blanche, la possession liée à la société de consommation. Dans le coin droit, en culotte noire, le rejet du matérialisme. Camarade, choisis ton camp ! Celui de la thèse, ou de l’anti-thèse ? Aucun des deux, merci. Je garde un mauvais souvenir de l’école, et de son formatage citoyen. Même sur le ring de classe, il nous était impossible de choisir un coin pour purger notre punition.

Si le matérialisme était une science organisée à l’image de notre voute céleste parsemée de constellations, je serais schizophrène, ascendant paradoxal. Je ne suis pas d’une nature matérialiste, et pourtant mon quotidien est étroitement lié à la consommation. Est-ce grave docteur ? Non, mais ça pourrait être pire: ce sera deux cachets de fraise tagada matin, midi, et soir. A faire descendre avec un verre de Coca. Trop cool ! Tous les gogos qui ont rompu le confinement pour aller s’entasser devant le premier fast-food ouvert ont reçu le meilleur des traitements. Blindé de sucre nocif, de colorants cancérigènes, et de matière grasse saturée, il a le mérite de ne pas être classé sur la liste des molécules vénéneuses contrairement à certains traitements médicaux connus et qui pourraient sauver des vies. Faut être sérieux quand même, ce n’est pas comme si nous vivions dans un monde malhonnête, dans lequel des groupes industriels généraliseraient le recours aux conservateurs, ou aux pesticides, avec la bénédiction des autorités sanitaires et gouvernementales. Et le rapport avec le matérialisme ? Aucun, j’avais simplement envie de l’écrire. Disons que j’apprécie les joies simples de pouvoir cracher mon venin. Une liberté de ton qui fut défendu par un grand penseur du XXème au cours de l’un de ses sketchs, Coluche: “Moi ça m'fait rire, alors c'est pas parce que je paye pas que j'vais m’faire chier non !”.


Coucou les copains !

Coucou les copains !


Nyctalope est un mot qui désigne celui qui voit la nuit, comme le hibou ou le chat. Là aussi, rien à voir avec la choucroute ! Mais comme j’écris en écoutant un documentaire animalier, j’ai sursauté en entendant le terme. J’ai d’abord cru que le narrateur avait un défaut d’élocution qui étouffait sa grossièreté. Et puis en vérifiant la définition sur le web, j’ai compris que c’est moi qui avait l’esprit mal placé. Peu convaincu de pouvoir placer un jour le mot sur ce blog, je saisis l’occasion de le faire. Décidément, je m’égare à nouveau. Pour revenir à la source de ma réflexion philosophique, je souhaite mettre en lumière le texte précédent “Toute première fois” qui décrit l’importance du matériel dans l’épanouissement de mon “moi” intérieur. Cet interlude de lucidité m’oblige à prendre une petite pause, le temps de me refaire une beauté, et de me biturer à la camomille pour calmer les ardeurs qui m’éloignent de mon rang intellectuel. L'occasion d’introduire l’univers du cyclisme dans ce billet d’esprit. “Prise au vent” est un incontournable, au détour d’un lacet de montagne.

Un bug de tisane plus tard, me voici de retour après mon mug. Ou serait-ce l’inverse ? Peu importe ! J’ai parfois la mauvaise impression d’être une “fashion victime” car je me tiens au courant des évolutions du matériel que j’utilise. Je me surprends même à visiter les sites de rumeurs pour anticiper les dernières tendances, à l’affut du moindre scoop. Les ventes privées sur le web pour les VIP tel que moi, les mails d’alerte pour les nouveautés ou les produits en rupture de stock, je me tiens au courant de tout. La “fashion week” est quotidienne. Ma devise ? “N’oubliez pas mon cadeau de Noël !” On est branché, et à la mode, ou on ne l’est pas. Il n’y a pas de secret. La semelle de mes tennis est si usée, que des couches de couleurs inédites apparaîssent sous la semelle de marche. Si ce détail n’est pas tendance, alors je ne m’y connais plus ! A croire que celui qui a lancé le jeans troué est parti d’un postulat identique. Il a craqué son slip, et puis il est devenu riche. Classique ! Je n’ai pas encore réfléchi sur la réussite des meubles Ikéa, mais je ne vais pas tarder à me pencher sur le cocuning, ou plutôt le “cocooning”. J’ai confondu avec le “cocuning” parce que le concept mélange lui-aussi vaguement les draps, les lits, et les placards. Ikéa, Conforama, Fly, je finis par tous les confondre.

Il faut reconnaître que sans matériel, il me serait difficile d’être moi-même. Et pourtant, je déteste accumuler les biens. Moins je possède, et mieux je me porte. Je suis toujours vêtu des mêmes habits rapiécés et aussi décousus que les textes du blog. Les couleurs sont souvent sombres pour ne pas me faire perdre de temps en triant mes lessives. D’une pierre deux coups, je n’ai même plus besoin de choisir dans ma garde-robe ce qui s’assortira le mieux à mon teint ou mon humeur. Le privilège d’être toujours “stragne”, ou boudeur en français. Maintenant que les présentations sont faites, passons à l’essentiel. Le matérialisme est la nourriture de mon esprit, et de mon système cardio-vasculaire. Une planche de salut qui me maintient en équilibre au-dessus de la ligne de flottaison. Certains diront que le matérialisme est la source des malheurs des pays occidentaux. Je ne suis pas d’accord. Il est possible de trouver une source d’inspiration, et un épanouissement spirituel au travers d’un bien de consommation. Tout est question d’équilibre, et de priorités. Il faut se concentrer sur l’essentiel afin d’éviter de se disperser et d’encourager ainsi la surconsommation, fléau nocif de nos économies capitalistes.


Un selfie, avec en arrière plan un panorama magique sur l’arrière-pays niçois

Un selfie, avec en arrière plan un panorama magique sur l’arrière-pays niçois


Mes passions sont dévorantes en matériel. J’investis de manière responsable, en privilégiant la qualité sur le long terme. Je cible mes besoins strictes, que ce soit pour la photographie, comme pour le cyclisme. Le choix, inévitable, est la problématique que je préfère car il pousse mon raisonnement à son paroxysme. Entre gestion des moyens financiers, et analyse scrupuleuse des nécessités, il m’arrive souvent de trouver des solutions improbables en détournant des objets de disciplines étrangères. Cette stratégie concerne en particulier la photographie. Il n’y a qu’en maîtrisant une discipline qu’il est possible d’imaginer et d’adapter des solutions conçues pour des usages différents. Je ne donnerai aucun exemple car ces réflexions m’appartiennent. Elles ont donné lieu à de nombreux tests de terrain, et je n’accepte plus aujourd’hui l’idée de dévoiler librement mes conclusions. Cette démarche ne concerne pas le cyclisme pour une simple question de sécurité car la discipline est suffisamment dangereuse sur la route. De plus, par souci de gain de poids, mon vélo est réduit au strict nécessaire. D’ailleurs, je rejette l’utilisation d’ordinateur pour réduire le superflu au maximum. Ce régime de diète favorise la légèreté de ma philosophie sportive car, depuis que j’ai supprimé tout écran de mon guidon, je roule en toute liberté, délivré du boulet des données physiologiques et kilométriques.

Le numérique photographique est apparu en balbutient dans les années 90. Il a commencé à se démocratiser au début des années 2000. J’ai opéré ma bascule de l’argentique vers le numérique tardivement car le marché n’offrait pas de solution adaptée à ma pratique, à mes attentes. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2008 que je me suis équipé d’un Canon EOS 5D Mk II. Mon premier boîtier numérique, et pour être franc, celui que j’utilise toujours aujourd’hui. En moyenne, un fabriquant renouvelle un modèle professionnel haut de gamme tous les quatre ans. Autant dire que le mien est devenu un dinosaure de la technologie. Et pourtant, je parviens à en tirer la quintessence au quotidien. Le capteur et le processeur sont certainement dépassés. Mais la question est de savoir si ils assurent toujours leur rôle premier, celui de réaliser des images de qualité. Oui, sans hésitation. Les fichiers produits sont certainement meilleurs que ceux obtenus par de nombreux photographes qui s’obstinent à acquérir les nouveautés ultimes, à défaut de pouvoir acheter la connaissance ou le talent. Dans un monde de vanité, le simple fait de parader en arborant fièrement son appareil sur un torse bombé est un singe…euh…un signe d’identité bien plus fort que la qualité de son travail. C’est fou de lire sur des sites photos des commentaires d’internautes justifiant l’achat d’un équipement uniquement parce qu’il donne une apparence de photographe professionnel. Et si je confessais que la précision apportée sur le terrain à la réalisation de chaque photo, entre exposition et cadrage soigné, me permettait d’utiliser des logiciels qui ont plus de dix ans d’âge, je risquerais fort de mettre le cerveau de certains en ébullition.

L’obsolescence de mon “matos” est compensée par une force indémodable, celle de la qualité des optiques que j’ai choisi au cours de mes trente années de pratique. Mettez des pneus en bois sur une Ferrari, et la sortie de route sera inévitable. Mettez une optique pourrie sur un boîtier performant, et la définition sera tirée inexorablement vers le bas. Le portfolio de ce site tend à prouver que la vieillesse n’est pas synonyme de mauvaise qualité. Je suis passionné par les optiques, ces cylindres de verre qui disciplinent la lumière pour la transcender sur la surface sensible (lire Diamants éternels ). Ce sont des pépites qui méritent toute mon attention. Chaque objectif est équipé d’un filtre vissant afin de protéger la lentille extérieure des poussières, des projections et des coups. De plus, ils ne sortent jamais du sac sans leur pare-soleil. Ce dernier est conçu pour éviter les lumières parasites qui se glissent sournoisement pour créer un voile sur la photo finale. Leur solidité de fabrication les rendent aussi très performants pour la protection de la face avant, contre les branches des arbres lors d’explorations forestières par exemple. Je ne comprends pas les photographes qui ne les utilisent pas car ils se privent d’un allier fort précieux.


Sur la route du col de Turini à 1604m d’altitude, avec des portions enneigées, ou verglacées

Sur la route du col de Turini à 1604m d’altitude, avec des portions enneigées, ou verglacées


Soigneux, vous avez dit soigneux ? Pas du tout, j’ai largement dépassé les limites pour me transformer en véritable maniaque. Comment ne pas l’être si je considère ce matériel comme un prolongement de ma personnalité. L’un ne va pas sans l’autre. De la même manière que je prends un minimum de deux douches par jour, ma semaine est rythmée par une moyenne de six lessives. Mon boîtier a lui aussi ses produits de beauté, souvent à la cire d’abeille. Un comble car il est souvent recouvert de pollen. Comme il est possible de l’observer sur la principale photo d’illustration, mon vélo aussi fréquente un salon de beauté de très haut niveau. Produits dégraissants, nettoyants, gommants, puis lustrants. Chacun d’eux est appliqué avec un tissu adapté à l’usage, la grande classe ! Ce cadre est un Trek Emonda, un anagramme en hommage à un col que j’adore, celui de la Madone surplombant le pays mentonnais. Cet entretien peut paraître ridicule, à l’image des habits conçus pour les animaux domestiques. Pourtant un vélo le mérite. Le cadre précédent sur lequel j’ai roulé était un Giant TCR. J’ai parcouru des centaines de milliers de kilomètres sur ce dernier au cours de vingt années de complicité. Complicité qui se prolonge toujours aujourd’hui sur le home-trainer. Les conditions de route sont terribles, en particulier en hiver car, à la pollution d’hydrocarbures se rajoute l’acidité du sel dispersé sur le bitume pour limiter la formation de verglas. Quand je découvre la crasse qui s’échappe à chaque nettoyage, je m’inquiète à l’idée que nous respirons toutes ces particules nocives. Flippant ! L’usage du masque chirurgical devrait se généraliser en milieu urbain, en particulier aux heures de pointe (lire Piste de bobsleigh ).

La propreté et l’hygiène sont des pratiques incontournables. Pour notre santé bien-sûr. Mais aussi pour la sécurité sur un vélo, ou la qualité d’un travail de précision. Les roues de mon vélo sont toujours équipées de pneus haut de gamme. J’apporte un soin particulier aux gommes car elles représentent l’unique point de contact avec le sol, juste avant les fesses en cas de chute. L’adhérence, la résistance aux frottements et aux crevaisons sont des qualités primordiales. Bien que le risque zéro n’existe pas, cela ne m’empêche pas de maintenir une discipline de prévention. Je dégonfle mes pneus après chaque parcours car ils sont gonflés à huit bars, une pression extrême qui déforme la structure au fil du temps. Puis, j’inspecte le moindre millimètre pour extraire les minuscules éclats de verre qui se plantent en roulant. Je nettoie régulièrement chaque roulement qui n’est pas protégé par une cartouche étanche, pour mieux le regraisser, et favoriser ainsi le rendement en limitant l’usure. Mon boîtier bénéficie du même soin chirurgical. Chaque poussière est soufflée à l’aide d’une poire en caoutchouc, la finition étant assurée par un chiffon électrostatique. Le capteur est nettoyé à l’aide de spatulettes dont le bout est recouvert d’un tissu ultra doux, et imbibé d’un liquide spécial. Le processus est radical et stressant car la moindre rayure anéantirait l’intégrité de la surface sensible, et remettrait en question le bon fonctionnement du boîtier complet. Il s’agit du talon d’achile du matériel numérique, contrairement à l’argentique qui dévoile un support vierge à chaque déclenchement.

J’avoue préférer le pollen et la terre, aux embruns que subissait mon matériel en bord de mer, exposé au grondement des vagues que je chassais. Le timing de l’arrivée de la macrophotographie dans ma vie est parfait car il m’était devenu insupportable d’envoyer mon matériel au carton face à l’étreinte corrosive du sel de mer. Pourtant, un photographe se doit d’être polyvalent. Pour cette raison, mes outils sont tropicalisés, étanches à l’humidité et à la poussière. Bien que ces scrupules n’étaient que les symptômes d’un mal-être plus profond, je n’éprouve aucun regret car le littoral s’est mué en un léviathan du tourisme de masse. Un parc d’attraction surpeuplé et déshumanisé, en totale opposition avec ma philosophie de vie, et incompatible avec mon interprétation de la photographie. Le parangon de ce phénomène de foire est le coucher de soleil. Quoi de plus beau ? Et pourtant, quoi de plus banal aujourd’hui. Il s’agit d’un spectacle qui se suffit à lui-même pour transcender les lumières et les couleurs de n’importe quel photographe. Techniquement, le coucher est l’équivalent du portrait de Donald à Disneyland.


Les embruns de sel sont corrosifs et abiment le matériel

Les embruns de sel sont corrosifs et abiment le matériel


Le changement de vélo, après vingt ans de complicité, me fut imposé par la pression consumériste de la société de consommation dans laquelle nous vivons. Les laboratoires en recherche et développement des industriels sont très actifs. Ils étreignent le monde d’une main de fer imposant une évolution constante et rapide. Il m’était devenu impossible de trouver des pièces détachées de rechange pour mon Giant TCR. Le moindre roulement était “has been”, quand l’obsolescence programmée ne venait pas rajouter une difficulté supplémentaire. L’achat d’un nouveau modèle m’a imposé un renouvellement d’une partie de mes outils car ils n’étaient plus adaptés aux normes de la nouvelle génération. Vingt ans, une fraction de seconde sur une échelle de temps géologique. Une éternité pour le progrès technologique. Dans le cyclisme, nous sommes passés de l’aluminium au carbone, des dérailleurs à câble au bluetooth. Alors que les muscles de mes jambes ont aussi vieillis, sans bénéficier d’une mise à jour de leur fraîcheur. Le constat est le même pour la photographie, et de nombreuses autres disciplines techniques. Une simple mise à jour du système d’exploitation principal de l’ordinateur peut condamner aux oubliettes un logiciel photo âgé, malgré un fonctionnement parfait. Il devient compliquer de trouver sa place dans ce monde, alors que je vis toujours dans une dimension parallèle dans laquelle seule l’usure motivait le remplacement du matériel.

Ce n’est pas le matérialisme qui est néfaste, mais l’excès qui en est fait. Le génie du système consumériste est de créer un besoin là où il n’en existait pas. Soit en modifiant légèrement le design d’un objet. Soit en apportant une évolution de la technicité en perfectionnant des options, ou en rajoutant d’autres. La technologie évolue vite. Et pourtant, je reste convaincu qu’elle pourrait aller plus vite. Mais à long terme, une évolution est plus rentable qu’une révolution. Un peu à l’image du tsar du saut à la perche, Sergey Bubka, qui faisait évoluer ses records du monde progressivement, centimètre par centimètre. Je confesse être agacé par la commercialisation d’objets sans la moindre utilité, à part celle de rajouter une nouvelle couche de sédimentation plastique dans la longue liste des pollutions plastiques qui ne cessent de se superposer. Ainsi apparaissent les “hand-spinner” ou les toupies en aluminium brossé plus récemment. De petits gadgets qu’il faut faire tourner en les lançant du bout des doigts. Le comble du ridicule et de l’inutilité. Ces stratégies commerciales sont révélatrices de la bêtise des consommateurs, et de l’intelligence des études marketing qui crée un nouvel environnement favorable à l’esclavagisme matérialiste. Des frites en forme d’allumettes, ou découpées en cubes. Le Fanta avec, et sans bulle. Des téléviseurs proposant une définition supérieure à la vision humaine. Les chaussures de running ultimes, tout comme l’était déjà le modèle précédent dans sa fiche descriptive. En résumé, la lessive qui lave plus blanc que blanc. Tout est calculé pour donner une impression de libre arbitre, alors que la stratégie est de créer un appel d’air par une orgie d’abondance. Comme si une technique de vente intrusive envahissait les moindres recoins de l’intimité de notre quotidien, encourageant le gavage pour générer un état de dépendance. Un cercle vicieux favorisant une insatisfaction insatiable. Ce malaise m’assomme dès que je fais face au linéaire interminable des rayons des magasins.

Selon Charlie Chaplin, “La production cinématographique n'est pas un commerce de saucisses mais d'enthousiasme individuel.” A condition que les navets ne deviennent majoritaires dans la soupe de la création. Ce n’est pas la sur-production qui doit permettre à la qualité de se distinguer, mais l’inverse. Il est possible d’être un matérialiste responsable, convaincu que le véritable enthousiasme ne peut se développer pleinement dans le phénomène de banalisation à outrance, en particulier concernant les outils nécessaires à l’épanouissement de l’esprit créatif. Je suis admiratif en observant discrètement les musiciens qui ne se déplacent jamais sans leur guitare. Où qu’ils soient, ils grattent toujours quelques notes. Il existe peu de forces sur terre capables d’extraire le nectar d’une passion comme parviennent à le faire certains objets inanimés, tel un appareil photo, un vélo ou une guitare. Il est alors possible de parler d’un prolongement de soi. Une parfaite harmonie favorisant un jeu à l’unisson, un état de conscience absolue par lequel s’exprime librement la corde sensible. Je suis attaché à cette idée de rapport mystique entre le musicien et son instrument. Il s’agit de la véritable définition de l’objet connecté. Celui-là même que nous avons hérité de nos aïeux chasseur-cueilleurs de l’âge de pierre. L’héritage matériel qu’ils nous lèguent est un livre ouvert sur la richesse culturelle de leur mode de vie, avant même l’invention de l’écriture. Il nous raconte le lien étroit qui existait entre la survie et l’outil qui permettait de l’assurer. Leur ingéniosité n’avait d’égale que l’adresse artistique avec laquelle ils décoraient les fragments qui nous sont parvenus. La finesse de ces témoignages trouvent un écho contradictoire dans notre société de l’obsolescence programmée. Comment appréhender la puissance de l’imagination nécessaire pour personnaliser des outils, créer des bijoux, ou tailler des sculptures avec autant de précision dans un monde dépourvu du moindre confort, sans percevoir le rapport mystique qu’ils entretenaient avec les objets de leur quotidien. Quelle sera l’interprétation de notre modernité par les archéologues du futur, découvrant les vestiges d’un monde misérable, celui de la molécule jetable à usage unique ?


« La création ne peut être qu’un jeu où l’on s’oublie. Le bon outil, le maître l’oublie lorsqu’il crée. Il n’y pense plus, et pourtant il ne l’abîme pas, parce qu’il sert. »
— La Bible

Le matériel mérite d’être entretenu soigneusement

Le matériel mérite d’être entretenu soigneusement